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Au sud-ouest du Chili, l’archipel de Chiloé est constitué de 40 îlots dont 36 sont habités. L’île principale, grande comme la Corse, est accessible en ferry depuis le continent via le canal de Chacao. A peine a-t-on quitté le continent à bord du traversier qu’un air salé porté par une brise légère nous accompagne vers le large pour cette demi-heure de traversée… Nous voguons vers Chiloé dont le nom vient du mot « huilliche » (en indien Mapuche) signifiant « terre des mouettes ». Sur cette île côtière isolée commence ou se termine – « tout dépend du point de vue duquel on se place etc. » comme disait le philosophe Spinoza – la Panaméricaine, seule route asphaltée de l’île. Lorsque l’on emprunte cette route, on traverse tour à tour des prairies et des bocages (face au continent) puis une forêt primaire quasi tropicale jusqu’à la rencontre avec l’océan Pacifique déchaîné. Tout le reste de l’île n’est que chemins de terre… L’île a conservé une forte identité, née de son isolement et du métissage entre les Espagnols et les indigènes. L’île principale a vu s’installer, de nombreux villages de pêcheurs, au cours de l’histoire, notamment sur la côte Est moins exposée aux dépressions venues de l’océan. Cette culture unique se retrouve dans l’architecture de l’île… L’isolement et l’absence de matériaux ont donné à Chiloé son architecture en bois caractéristique. Evangélisés par les Jésuites, puis par les Franciscains, les indigènes ont construit, selon leurs techniques – issues de la construction navale – de remarquables églises en bois. Elles ont d’ailleurs souvent été érigées sur des sites dédiés aux anciennes pratiques spirituelles locales… On peut encore aujourd’hui admirer ces églises construites au 17ème et 18ème siècles. Très souvent, leurs façades sont couvertes de tuiles en bois de cyprès de Patagonie (alerce) de plusieurs formes, finement travaillées et assemblées. Quant aux toits, ils sont également en bois ! C’est le cas par exemple de la magnifique église de Dalcahue.

Prairies et bocages

Ces édifices remarquables de l’architecture chilote, ont été conçus pour résister au climat océanique humide et pluvieux de l’archipel (l’ouest de Chiloé ne connaît pas de saison sèche avec ses 2000 mm de précipitations annuelles et une température moyenne annuelle de 8,5°C). Les églises se trouvent souvent près du rivage et elles sont généralement construites sur des collines, pour éviter d’être inondées pendant les périodes de fortes pluies. Leur côté nord est protégé contre les tempêtes, qui viennent généralement de cette direction. Soixante églises de l’archipel correspondent à l’école chilote d’architecture religieuse en bois et seize d’entre-elles (les plus représentatives) sont classées monuments nationaux et inscrites au Patrimoine de l’humanité en 2000, sur les communes de Castro, Chonchi, Dalcahue, Puqueldón, Quemchi et Quinchao. Pour l’UNESCO, « ces églises illustrent l’extraordinaire richesse de l’archipel de Chiloé et témoignent de la fusion réussie de la culture et des techniques indigènes et européennes, de la parfaite intégration de son architecture dans le paysage et l’environnement, ainsi que des valeurs spirituelles des communautés ». Que ce soit l’église Saint-François de Castro, aux flèches néogothiques peintes en jaune soleil, rose et aubergine, ou la ravissante église bleue et blanche Notre-Dame-du-Patronage (en espagnol iglesia Nuestra Señora del Patrocinio) du village de pêcheurs de Tenaún, chaque église catholique de Chiloé possède un charme qui lui est propre. Leur taille est déterminée par l’importance des fêtes religieuses qui s’y déroulaient. Et n’allez surtout pas imaginer qu’à cause de leur « grand âge », ces églises n’ont pas conservé leur authenticité. Elles servent toujours de lieux de prière et font l’objet d’un entretien sourcilleux de la part des communautés qui les utilisent.

L’église de Dalcahue

Tenaún, une minuscule bourgade de Chiloé: une rue, une plage, quelques maisons et surtout sa magnifique église bleue étoilée Notre-Dame-du-Patronage, datant de 1842. Cette église de vaste dimension, présente un toit pointu et sa façade principale est dotée de trois tours (c’est la seule dans toute l’île): une tour centrale et deux petites tours latérales. La tour centrale, structure verticale dominante, est à la fois un élément religieux sur lequel se dresse la croix et un point de référence pour les marins. Les tours présentent une forme octogonale, de manière à réduire leur résistance au vent. Son portique comprend des colonnades et des arcs. Puisque le village est minuscule et que la plupart des touristes ne s’y aventurent pas, nous demandons à une « abuelita » (petite mamie) de nous ouvrir la porte de l’église : « Ouvre-moi la porte toi qui as la clef / De la grande école du monde / Ce n´est pas facile de te faire entrer / Mais je vais quand même essayer… » (Ouvre moi la porte – Enrico Macias). Plus profonde que large, l’église présente un plan basilical à trois nefs séparées par de solides colonnes de bois qui reposent sur des blocs de pierre. La nef centrale est surmontée d’une voûte en berceau – qui évoque la magnifique cale d’un navire retourné – et les bas-côtés ont des plafonds plats. Se mêlant au catholicisme, les croyances traditionnelles restent bien vivantes encore aujourd’hui: toute une cosmogonie explique la naissance et la vie des îles, les tentations et les interdits… Et on trouve très souvent des représentations de la mythologie chilote à l’intérieur des églises: bateau fantôme (el Caleuche – cela ne vous rappelle pas un des épisodes de « Pirates des Caraïbes » ?), sirène chilote (la Pincoya), gnomes (el Trauco), sorciers (brujos)… Ici catholicisme et croyances traditionnelles sont très étroitement liés ! Ainsi on se presse de faire baptiser son fil aîné si l’on ne veut pas qu’il soit transformé en Invunche, monstrueux et dangereux garde de la grotte des brujos

La toiture en pente est construite en bois

Souvent noyée dans la brume ou ployée sous un ciel gris bas la majeure partie de l’année, l’île de Chiloé s’illumine sous le soleil. Ses vieilles églises en bois, ses bateaux de pêche, ses collines et bocages et surtout ses maisons en bardeaux multicolores se dévoilent alors sous un nouveau jour. Les maisons de Chiloé, c’est une histoire faite de bois, de couleur et d’écailles et de mobilité. Vous vous interrogez sûrement sur cette dernière caractéristique… Mais pourquoi nous parle-t-elle de mobilité ? Tout simplement parce que les premières constructions de l’île étaient des maisons de petite taille pouvant être déplacées au gré des évolutions économiques et familiales. Les maisons étaient posées sur de gros galets ronds (de la taille d’une grosse citrouille), partiellement enfoncés dans le sol pour les isoler de l’humidité. Cette technique présentait aussi des avantages en matière sismique, la maison n’étant pas liée au sol. Aujourd’hui encore, on voit parfois une roue de char (de 1 mètre de diamètre environ) posée à un angle de façade afin de rappeler ce passé itinérant… Ces maisons étaient en bois et elles le sont restées pour l’essentiel. Leurs façades sont couvertes de tuiles en bois, de plusieurs formes, finement travaillées puis assemblées. La toiture en pente autrefois couverte de chaume selon une tradition mapuche puis construite en bois par la suite, tend malheureusement à disparaître au profit de la tôle ondulée galvanisée. De nos jours, les chilotes construisent toujours des maisons en bois selon la même technique qu’autrefois. La maison n’est plus posée sur des gros galets mais s’appuie sur des fondations. Par contre, la technique de l’ossature reste la même: la maison est constituée d’une carcasse en bois qui forme un véritable squelette, comprenant les solives des planchers, les montants des murs extérieurs et les cloisons. La présence de forêts importantes sur l’île de Chiloé a aidé au développement de la suprématie du bois et à une véritable culture, tant pour les maisons que pour la construction navale et la menuiserie. Si l’alerce (Fitzroya Cupressoides) est aujourd’hui interdit de coupe car trop exploité, les nothofagus (apparentés aux chênes et aux châtaigniers européens) sont utilisés comme matériau de construction en charpente et en menuiserie en raison de leur tronc longiligne et de leur texture sans nœud mais aussi en raison leur résistance aux parasites. Quant aux couleurs vives dont se pâment les maisons, il semblerait que les chilotes aient pris l’habitude de peindre les maisons afin de mieux les repérer dans la morosité du ciel (par temps gris ce qui est souvent le cas !) depuis la mer…

L’océan Pacifique

Chiloé séduit, difficile de résister à son charme pittoresque, ses maisons colorées, ses vastes étendues de nature… et son océan remplie d’histoire de pêcheurs. Le secteur de la pêche est très important pour l’économie de l’île. Si l’île est connue pour ses « Buzos » (plongeurs) qui descendent jusqu’à des profondeurs de 40 mètres pour y récolter des oursins, des palourdes et des algues, aujourd’hui les pêcheurs artisans avec leur bateau en bois sont confrontés aux problèmes économiques de survie de leur métier, ainsi qu’à la raréfaction de la ressource. L’administration chilienne veut professionnaliser la pêche notamment via l’obligation pour les pêcheurs de posséder une licence professionnelle… Bien que ces hommes connaissent l’océan mieux que quiconque, leur niveau d’instruction ne leur permettra pas d’obtenir le sésame pour pratiquer leur activité et ils seront donc dans l’impossibilité de pêcher ! En plus de ce précieux sésame, il sera obligatoire pour les pêcheurs de posséder une assurance vie… Autant dire que personne ne fournira le document à ces hommes qui travaillent jusqu’à ne plus en pouvoir. Enfin, si ce n’était pas suffisant, la menace de la pêche industrielle plane comme un rapace sur l’île. Que cette triste réalité ne vous empêche pas de déguster un délicieux « Curanto », le plat emblématique de Chiloé. Délicieux mélange de fruits de mer, de viandes et de légumes, sa préparation est une véritable fête pour laquelle toute la communauté participe et travaille ! On commence par creuser un trou dans la terre, de plus ou moins 50 centimètres de profondeur, au fond duquel sont placées de grandes pierres chaudes. Sur ces pierres sont disposées des « mariscos » (fruits de mers): des « cholgas » (grosses moules), des « almejas » (palourdes), des « choritos » (petites moules), et des « piures » (genre d’éponge calcaire). Puis on rajoute les « carnes » (viandes) comme des « longanizas » (saucisses), du « pollo » (poulet) ou du « chancho ahumado » (lard fumé). Chacun de ces ingrédients est préalablement salé, poivré et épicé. Viennent s’ajouter ensuite au-dessus des pommes de terre, des « milcaos » et des « chapaleles »… bref que de la patate guise de légumes ! Le tout est recouvert de feuilles de nalca ou pangue (plante à feuilles géantes) un peu l’équivalent de notre rhubarbe. Si vous êtes plutôt du genre « burger », essayez le « Cancato », une sorte de sandwich au saumon cuit en papillote… où le saumon joue le rôle du pain: entre deux tranches de saumon sont intercalés des tomates et des rondelles de saucisses grillées, le tout étant recouvert d’une sauce au fromage… Le tout est bien sûr accompagné de riz ou de pommes de terre.

Monumento Natural Islotes de Puñihuil, les manchots

Changement de décor… A la pointe de Puñihuil aussi appelé Monumento Natural Islotes de Puñihuil, se situe une zone naturelle protégée (classée depuis 1999). Trois îlots volcaniques face au village des pêcheurs de Puñihuil abritent des manchots. C’est le seul endroit du Chili où l’on peut observer des manchots Humboldt (Spheniscus humboldti) et des manchots de Magellan (Spheniscus magellanicus) nicher au même endroit pendant la période de reproduction (de mi-septembre à fin mars). En anglais « penguin » et en espagnol « pingüino » désignent le manchot et non pas le pingouin, en français. Même si la ressemblance physique existe, ces oiseaux sont complétement différents: les pingouins vivent dans l’hémisphère nord et ils peuvent voler ! Quant aux manchots, ils vivent dans l’hémisphère sud et ils ne peuvent pas voler (ils se servent de leurs ailes comme nageoires)… Du coup, estropié, le volatile s’est fait nommer « manchot », avec sa démarche claudicante qui lui donne une allure un peu pataude ! Mais lorsqu’il est dans l’eau, finies les moqueries: c’est un excellent nageur qui atteint la vitesse de 20 km/h et descend à 80 mètres de profondeur ! Bon, mais maintenant la question piège… Qu’est-ce qui distingue un manchot dit de Humboldt (baptisé « sùssa » par les indiens nomades) d’un manchot de Magellan (baptisé « sùrsa »)? Ha, ha et je ne veux pas entendre la réponse facile que l’un est noir et blanc et l’autre blanc et noir. Allez, je vous aide un peu, c’est une comme souvent une histoire de bandes rivales ! Les manchots de Humboldt sont identifiables par leur bande noire et la base un peu rosée de leur bec, ceux de Magellan par leur double bande noire (à la base du cou). Le manchot de Humboldt est aussi légèrement plus petit (65 à 70 cm) que son cousin de Magellan (70 cm)… Serez-vous assez perspicace pour trouver les deux intrus qui se cachent parmi les manchots de Magellan sur la photo ? Et si vous voulez plonger (comme les manchots) un peu plus dans l’ambiance de ces terres du bout du monde gouvernées par la nature, entendre les mouettes, le vent, le bruit de l’océan et ressentir toute la rudesse la Patagonie, rien ne vaut la lecture des nouvelles « Tierra del Fuego » de l’écrivain chilien Francisco Coloane surnommé le Jack London d’Amérique du Sud… né un 19 juillet 1910 à Quemchi, sur l’île de Chiloé ! Quant à nous, on reprend le ferry, direction le continent pour la suite de l’aventure, accompagné d’un magnifique coucher de soleil !

 

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