Bom dia !
Mindelo c’est aussi le lieu de passage obligé pour tous les amateurs de randonnées attirés par la beauté légendaire de l’île de Santo Antão. Cette grande île du Cap Vert, peu peuplée (un peu plus de 48 000 habitants), est effectivement magnifique et les circuits progressivement de mieux en mieux balisés restent mémorables pour qui aime la nature, le relief et les grands horizons sauvages. Pour les Capverdiens, même s’ils n’en sont pas originaires, ou n’y vivent pas, c’est vraiment «la belle île» : celle de l’eau, si précieuse, des terrasses cultivées, du « grogue » au parfum enivrant, des vallées verdoyantes parfois inaccessibles… Notre traversée d’une heure en Ferry depuis Mindelo (São Vicente) jusqu’à Porto Novo (Santo Antão) est egayée par les « Poss » ou poissons volants qui sautent hors de l’eau et volent sur plusieurs centaines de mètres, rebondissant même d’une crête de vague à l’autre… Pour peu, on se mettrait presque à fredonner « Lentement, les nageoires déployées / Lentement, je le vis tournoyer… »
Avec ses 779 km2, l’île de Santo Antão est la deuxième plus grande île de l’archipel après Santiago, et avec un sommet à 1979 mètres, la plus élevée après Fogo. C’est d’abord une île de contrastes, entre son versant sud très sec (où poussent presque exclusivement des acacias) et le nord humide avec ses plantations et ses cultures. A partir de Porto Novo, prenez un aluguer (taxi) direction la Estrada da Corda (la route de la corde), une route pavée reliant Porto Novo (au sud-est) à Ribeira Grande (au nord-est)… Son tracé de funambule est jonché d’un nombre incalculable de virages et ses petits pavés lustrés de taille inégale, posés à la main, font qu’elle ressemble à un sentier de muletier… pavé (mais aujourd’hui c’est les mules regardent passer les aluguers…). On gravit d’abord le versant sud de l’île aride, puis au sommet où l’on a une vue imprenable sur São Vicente et San Nicolau emergeants des brumes, la végétation commence à apparaître.
On longe alors le cratère de Cova, ce cratère volcanique endormi tapissé par un damier de cultures maraîchères. L’endroit est aussi très fleuri, avec des plantes endémiques comme la Linga d’Vaca (ou langue de vache ou encore ou vipérine car ses feuilles sont râpeuses comme la langue du bovidé) ou le Jacaranda, appelé aussi « flamboyant bleu » originaire d’Amérique du Sud (Paraguay, Uruguay, sud du Brésil et de l’Argentine). On grimpe encore dans une forêt de pins et de mimosas, on passe par des crêtes étroites sur des hauteurs humides à l’étonnante fraîcheur comme à Delgadim. Côté nord, le paysage est ici beaucoup plus verdoyant, les cultures cascadent de terrasses en terrasses: canne à sucre, manioc, ignames, caféiers, bananiers… Une vallée verte jalonnée de sentiers traversant des hameaux.
C’est la descente vers Ribeira Grande en bordure de l’océan pour rejoindre ensuite Ponta do Sol par la route de la côte, une côte escarpée mais tellement magnifique. La route suit le contour sinueux des falaises abruptes atteignant parfois plus de 400 mètres de hauteur et plongeant à pic dans une mer agitée. Suspendus entre ciel et mer, nous avançons au son des vagues se fracassant contre les falaises. L’océan est omniprésent mais pourtant inaccessible… Si le long de cette côté accidentée, il n’y a évidemment pas de plages propices à la baignade, on trouve des piscines d’eau de mer, comme à Sinagoga, où l’on peut goûter aux joies du barbotage (Attention aux nombreux oursins !). L’eau y est tellement cristalline qu’il suffit de se pencher au dessus de l’eau pour admirer les poissons… c’est un véritable aquarium à ciel ouvert ! Le port de Ponta do Sol est dangereux d’accès à cause de la violence de la houle et du courant. Une esplanade avec une rambarde en pierre ferme le port pour faire front à l’océan parfois tumultueux, formant ainsi la Boca da Pistola (bouche du pistolet) qu’il faut franchir pour entrer dans le port et en sortir. Autrefois, les grands navires mouillaient au large, et de petites barques à rames, les botes, faisaient la navette pour charger et décharger les hommes, les animaux, l’eau et les marchandises. Aujourd’hui, le port est seulement le point de départ d’une pèche vivrière, avec son plan incliné servant à tirer les barques de pêche, ses encombrements de casiers, de lignes et de filets… et d’appétissants poissons comme ce Serra ou Thazard bâtard… Allez, à table tout le monde !
La vallée de Paul, prononcez « paoul » est sans doute la plus séduisante de l’île, celle où l’eau coule et où les cultures cascadent de terrasses en terrasses: canne à sucre, manioc, caféiers, ignames (Tarot) et bananiers, arbres à pain, amandiers… Saviez-vous par exemple que les feuilles de bananiers sont utilisées par les Cap verdiens en décoction (faire bouillir les feuilles dans de l’eau chaude) pour traiter les boutons de varicelle… Un dense réseau de levadas rend possible l’irrigation dans ce relief accidenté et on ne peut qu’admirer le patchwork de cultures à nos pieds et ses milliers de nuances de verts différents. On donne définitivement raison à Richard Llewellyn en s’écriant « Qu’elle était verte ma vallée » ! En parcourant le chemin de randonnée, on voit de nombreuses parcelles morcelées, parfois minuscules pour y faire pousser des légumes… et pourtant les petits champs de choux, de patates douces… jalonnent le parcours. Dans les hameaux se cachent quelques maisons traditionnelles en terre surmontées d’un toit de chaume ainsi que de magnifiques bougainvilliers. On rencontre aussi de nombreux arbres fruitiers: papayers, goyaviers, des manguiers énormes, arbres à pain, cocotiers, amandiers. Et puis il y a le Draguêr ou Dragonnier, espèce endémique de la Macaronésie, réputé pour ses propriétés toniques, astringentes, prétendument aphrodisiaques (mythe local ou réalité ?).
La canne à sucre sert à fabriquer de la mélasse ainsi que la boisson locale: le « grogue », très prisée dans tout l’archipel. C’est depuis Madère, autre territoire portugais, que la canne à sucre a été introduite au début du 16ème siècle au Cap Vert, pour produire le sucre alors consommé en Europe. Les rhumeries demeurent petites et tout à fait artisanales, presque cachées parmi les champs de canne. Le jus de canne est extrait grâce à un trapiche, un pressoir actionné par des bœufs (aujourd’hui remplacé par un pressoir motorisé !) qui tournaient autour de cylindres dans lesquels les cannes étaient pressées. Le jus est alors laissé quelques jours en fermentation avant la phase de distillation. L’alambic est nettoyé avec de la cendre et du citron puis rincé et séché. Dans un four en pierres sèches, le feu est alimenté par des feuilles de canne. Le sirop de canne fermenté est versé dans l’alambic pour être chauffé, et la vapeur distillée est refroidie par condensation dans un tuyau qui passe dans de l’eau fraîche. L’île de Santo Antao est réputée pour son grogue. La tradition est de laisser vieillir le rhum pendant plusieurs années dans des tonnelets en chêne pour obtenir le grogue vehla (rhum vieux) reconnaissable à sa couleur ambrée. Le grogue jeune à quant à lui une couleur blanche. Avis aux amateurs, un des rhums vieux les plus réputés est celui de la Vallée de Paul ! Allez, il est temps de passer à la dégustation… au choix, du grogue à l’orange, à la coco, du caïprinihia au fruit de la passion, du rhum pur, du punch et autres spécialités du cru. Et puis comme on dit : Bastá bô t’ bibé, l’tá tro’b fom’ (Il suffit que tu boives pour ne pas sentir la faim).