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Le Kaokoland – traduisez « terre lointaine » – n’est vraiment pas une région comme les autres. Ancien bantoustan namibien, le Kaokoland se situe dans la région du Kunene au Nord-Ouest de la Namibie. Traverser les grands espaces semi-désertiques du Kunene, c’est vivre un périple à travers l’espace et le temps. Ici, il n’y a ni clôture ni barrière: les animaux se déplacent en totale liberté dans de larges vallées arides où les rivières éphémères sont de véritables oasis. C’est aussi dans cette région semi-désertique que les Himbas mènent une existence proche de celle de leurs ancêtres semi-nomades lorsqu’ils quittèrent la région des Grands Lacs pour arriver ici, vers le 16ème siècle…

 

Les chutes d’Epupa, un paradis perdu de Namibie

Particulièrement isolée, la région semi-désertique du Kaokoland attire les voyageurs en quête d’aventure. Pour atteindre les chutes d’Epupa en partant d’Opuwo, la capitale du Kaokoland, il vous faudra faire un très long trajet sur une piste poussiéreuse et cahoteuse au rythme de la chanson Gambia de Sona Jobarteh accompagnée de son Kora. Nous passons à côté d’éboulis de roches noires qui donnent l’impression de montagnes brûlées par un incendie. Puis le paysage devient rouge comme la peau des femmes Himbas… Nous approchons d’Epupa ou « eaux fracassantes et écumantes » en langue Héréro. Le plaisir est immense lorsqu’on arrive dans ce coin de paradis perdu bien caché à l’ombre des palmiers et des baobabs. Le territoire est très vert et fertile du fait de la présence du fleuve Kunene qui marque la frontière naturelle avec l’Angola. C’est l’une des rares rivières de Namibie à couler toute l’année.

Les palmiers et les montagnes environnantes dépourvues de toute végétation se reflètent dans les eaux calmes du fleuve Kunene.

Sur le fleuve Kunene, il est possible de pratiquer le rafting aux creux des roches noires en amont des chutes. Là, à l’abri des courant, le calme des eaux où se reflètent des bananiers incite à la baignade. Ah, on imagine déjà les bienfaits de l’eau sur nos corps fatigués par les secousses de la piste ! Mais il faut se méfier de l’eau qui dort, elle peut cacher un crocodile petit (plus communément appelé Lacoste) ou grand… Il faut rester vigilant et ouvrir l’œil pour repérer les nombreux habitants qui peuplent ce fleuve. La chair fraîche, immergée, est vite à portée de mâchoires des crocodiles se prélassant au soleil sur les bords du fleuve. Monsieur Crocodile, n’en déplaise à Peter Pan, est toujours aux aguets :

« Monsieur Crocodile, que vous avez de grands yeux !
– C’est pour mieux voir, mon enfant.
Monsieur Crocodile, que vous avez de grandes dents !
– C’est pour mieux te manger. »

Avec une mâchoire capable d’exercer une pression immense, le crocodile est le grand gagnant de la catégorie « morsure la plus puissante ». Cette force de morsure peut atteindre 16.000 newtons pour le crocodile marin. C’est environ quinze fois la force de la morsure d’un rottweiler, et trois fois celle du grand requin blanc. Et ne vous fiez pas aux apparences, sous ses airs de dur à cuire, la peau de croco est en réalité très sensible… Une étude menée par des chercheurs américains (parue dans le Journal of Experimental Biology) montrent que le système tactile des crocodiliens est exceptionnel. Il leur permet de détecter les mouvements de l’eau engendrés par leurs proies et également de déterminer l’emplacement de celles-ci et de les attaquer directement et rapidement sans aucune hésitation. Autant dire que vos chances sont minimes et que si vous êtes mordus, vous ne verserez pas que des larmes de crocodiles !

Sur un rocher noir, un petit crocodile veille. Les vaguelettes qui agitent la surface de l’eau troublent très légèrement son reflet.

Pagayons, pagayons au rythme de la chanson de Camille moussaillons ! On dévale le fleuve jusqu’aux chutes d’Epupa qui sonnent le point d’arrêt du trajet.

« Allez, allez, allez, à l’eau à chaque coup de rame, prend la force dans la taille et dans les talons…. prend la force , c’est fastoche, de ma chanson…. »
(Camille – Allez Allez Allez)

Au niveau d’Epupa, le fleuve Kunene franchit une cassure en formant de magnifiques chutes. L’eau bouillonne avant de se jeter du haut des 37 mètres de falaises. Les embruns sont projetés à des dizaines de mètres, offrant une douche salutaire et fraîche, purifiant l’atmosphère poussiéreuse du bush. On reste béat devant ce spectacle son (le bruit assourdissant de l’eau) et lumière (un magnifique arc-en-ciel) offert par Mère Nature. Des « eaux fracassantes et écumantes », les chutes d’Epupa sont bien nommées.

En grimpant un peu dans la vallée on a un point de vue panoramique magnifique sur les 22 cascades et les baobabs accrochés sur les rochers.

Les chutes sont composées de 22 cascades et il faut prendre de la hauteur pour profiter pleinement de leur ampleur. Le site d’Epupa s’étend sur près d’1,5 kilomètres. Au fur et à mesure que le fleuve perd de l’altitude, il se divise en une multitude de canaux et forme des piscines naturelles dans la roche. En grimpant un peu dans la vallée on a un point de vue magnifique sur les différentes cascades. A chaque pas, on a l’impression d’avoir le meilleur point de vue sur la vallée avec les baobabs accrochés sur les rochers et les nombreux palmiers qui longent le fleuve. Je m’arrête et je prends une photo ici ? Mais si je me retourne c’est aussi bien derrière, non ? Sacrifier toutes ces vues magnifiques au profit d’une ou deux (qui seront peut-être ratées d’ailleurs) c’est un vrai problème… Vous l’aurez compris, le site revêt une telle force que s’y mesurer par la photo relève de l’inconscience ! Tant pis, je vais simplement rester là les bras ballants mais les yeux ouverts…

 

Le bétail: trésor des Himbas

Outre la contemplation de ce coin de paradis perdu constitué par le fleuve Kunene et les chutes d’Epupa, cette région est aussi la terre des Himbas, un peuple semi-nomade et pastoral qui mène une existence proche de celle de ses ancêtres… Partir à la rencontre du peuple Himba c’est un peu comme marcher sur les traces de Muriel Robin dans l’émission « Rendez-vous en terre inconnue ». Le guide Himba qui nous accompagne, nous apprend quelques mots du dialecte Himba qui est issu de la langue Héréro. A quelques expressions et détails de prononciation près (le « r » se roule à l’espagnol et le « u » se prononce « ou), c’est la même langue – un peu comme le marseillais pour le parisien, c’est plus chantant !

« Moro » (bonjour)
« Ua penduka nawa ? » (Comment allez-vous ?)
« Nawa » (ça va bien) « Okuhepa » (merci)
« Ena randjo o… » (je m’appelle…)
« Ena roye oovetjikwae ? » (Comment t’appelles-tu ?)

Voilà, je crois que vous êtes prêt pour cette rencontre exceptionnelle d’hommes et de femmes qui vivent en symbiose avec leur milieu.

Deux vaches aux longues cornes déambulent au bord de la piste caillouteuse. L’une est marron tandis que l’autre est tachetée de blanc.

Les Himbas ont su s’adapter aux conditions de vie très difficile du Kaokoland: l’absence d’eau, la chaleur extrême, l’isolement, chaque difficulté s’est transformée en une pratique ou un tabou qui a forgé leur société. L’eau (Omeva / Omyia) étant tabou, les femmes font par exemple leur toilette par fumigation. La fierté des Himbas, ce sont leurs troupeaux de vaches. Pour ces pasteurs semi-nomades, les vaches sont le pivot de l’existence: le lait caillé (Omaere) est la base de l’alimentation, le cuir un élément essentiel à la fabrication de l’outillage, des besaces, des ceintures, des couvertures ou des parures. Les récipients permettant de baratter le lait sont fabriqués avec des panses de bœufs. La graisse animale permet l’élaboration du maquillage tandis que la bouse est une composante essentielle du mortier (avec la terre et l’eau) dont sont faites les cases.

« Un Himba n’est rien sans bétail »
(Proverbe Himba)

C’est pour être aussi belles et fortes que les vaches rousses, réputées plus résistantes, que les femmes se recouvrent quotidiennement le corps d’ocre rouge. Sur la tête, une coiffe – l’Erembe – symbolise les oreilles de l’animal vénéré. La coiffe s’attache derrière la nuque grâce à une lanière de cuir tendue en haut du front. On peut l’affirmer sans hésitation: le bétail est vraiment au cœur de la vie des Himbas ! C’est pourquoi l’enclos (Kraal) est situé au centre du campement, les cases étant disposées autour de manière circulaire.

La case Himba est de forme conique. Elle est faite à base de branches de bois de mopane, d’excréments de vache, de terre grasse et d’eau.

 

Us et coutumes des peaux rouges du Kaokoland

Toutes les tâches domestiques incombent aux femmes: confection des cases, préparation des repas, soins des enfants, collecte du bois, corvée d’eau, traite des vaches (avec l’Ehoro, le seau à lait en bois, taillé d’un seul bloc) et travail au champs ! Les hommes s’occupent traditionnellement d’emmener les troupeaux aux pâturages. Cet homme marié surveille un troupeau de chèvres à l’ombre des arbres. Chez les Himbas, un ensemble de codes sociaux s’expriment dans les cheveux. Les coiffures évoluent au fur et à mesure de l’avancement de la vie. Les jeunes enfants arborent un crâne rasé, tandis que les hommes célibataires portent une queue de cheval avec le reste du crâne rasé. Ils la recouvrent après le mariage d’un bonnet en coton ce qui donne une forme effilée au bonnet. Les fillettes portent deux tresses appelées « Ozondato » pointant vers l’avant lorsqu’elles sont enfants, puis dirigées vers l’arrière lorsqu’elles sont en âge de se marier. La forme des tresses est déterminée par son « Oruzo » (le clan de son père). Le nombre augmente la puberté passée. Une fois devenues épouses, elles se coiffent de longues nattes enduites d’argile: l’erembe », est la coiffe en peau de chèvre portée par les femmes mariées alors que « l’ekori » est porté pour le mariage ou les cérémonies.

Une femme Himba porte son jeune enfant dans les bras. Sa tête est recouverte d’une coiffe, l’Erembe symbolisant les oreilles d’une vache.

Si dans notre culture européenne, vous osez comparer une femme à une vache, c’est sûr, vous passerez pour une peau de vache ! Ici, le plus beau compliment que l’on puisse faire à une femme, c’est de lui murmurer à l’oreille qu’elle ressemble à une petite vache rousse. Les femmes s’enduisent, des pieds à la tête jusqu’aux tresses, d’une pommade de couleur ocre (l’Otjize), mélange de graisse animale et de la poudre d’hématite. C’est uniquement dans un but esthétique et non pas selon la croyance généralisée, pour se protéger la peau du soleil ou des moustiques ! Chaque femme confectionne son propre parfum qui peut associer une douzaine de plantes différentes (par exemple un mélange d’Oljikuro, d’Ohandwa, d’Okaambi et d’un peu d’écorce de Mopane). Le parfum est grillé sur des braises, mélangé au charbon de bois (ce qui lui donne sa couleur noire) puis à de la graisse. Il est appliqué sur le cou pour limiter le frottement du lourd collier que les femmes portent avec fierté. Ce mélange sert également à enduire les colliers des hommes et des enfants. L’enfumage est pratiqué quotidiennement. Et oui, ce n’est pas parce qu’elles ne se « lavent » pas que les femmes doivent sentir mauvais ! Dans l’intimité de la case, on fait brûler des parfums d’origine végétale sous « l’Otjihanda » (structure conique de bois et de tissage de fibres) et on s’accroupit au-dessus.

 

L’être et le paraître chez les femmes Himbas

Voici donc notre quart d’heure de mode… La femme Himba prend grand soin d’elle-même. Pour les Himbas, l’esthétique répond à des codes bien précis, établis par les ancêtres. Les parures des Himbas racontent leur vie: la présence d’un collier ou la coiffure ont une sens. Elles renseignent sur l’état civil et l’histoire de leur propriétaire. Ce sont particulièrement les femmes qui perpétuent fièrement ces traditions depuis des siècles. La femme Himba est vêtue de graisse et de pigments minéraux, de cuir, de fer et de cuivre, d’un coquillage porté entre les seins (L’Ohumba, symbole de fécondité), de graines (l’Omangete est une guirlande de graines sèches), de caoutchouc, de ficelle et de tissu. L’ensemble pèse près de douze kilos (et encore je ne compte pas le bébé dans le dos).

« Oui, l’habit ça flatte toujours ; et ce n’est pas moi qui suis élégant, c’est mon costume. »
(Fanny – Marcel Pagnol)

Comme les coiffures, les parures sont comme une carte d’identité car elles ont toutes une signification: on sait combien une femme a eu d’enfants ou si sa mère est toujours vivante… Pour exemple, le grand collier de cuivre enroulé porté autour du cou, l’Ozondengura signifie que vous avez accouché au moins une fois. Sinon vous porteriez l’ombware, un collier en perles blanches.

De lourds colliers ornent le coup des femmes. Cette jeune fille porte l’Ozondengura signifiant qu’elle a accouché au moins une fois.

La jupe ou « Ombanda » est faite de peau de veau ou de mouton et d’après les anciens les jupes seraient de plus en plus courtes… comme chez nous ! La ceinture est différente suivant si les femmes ont eu un enfant ou pas: l’esange est la ceinture des femmes qui n’ont pas d’enfants tandis que l’epando est celle des femmes ayant des enfants. Au poignet droit au gauche, se porte l’otjitenda, un long bracelet en cuivre qui en plein soleil peut occasionner de sérieuses brûlures. La droite ou la gauche n’est en aucun cas un signe d’appartenance politique mais un moyen de connaître le statut des parents: l’absence d’otjitenda au poignet droit signifie que le père est décédé tandis que l’absence d’otjitenda au poignet gauche signifie que la mère est décédée. Le culte de l’apparence fait partie intégrante de la culture himba et est un lien direct avec les ancêtres. Selon une croyance himba:

« L’âme des ancêtres maintient leurs descendants debout. Si le lien est rompu, alors c’est le peuple tout entier qui s’effondre »

Aux chevilles les femmes portent un gros bracelet, l’Omihanga, fait de cuir et de métal. Attention, les chevilles sont considérées comme hautement érotiques, donc il convient de les cacher ! L’Ondoo (ou Onzondoo au pluriel) est la lanière de cuir qui se trouve sur le côté de l’Omihanga: s’il n’y a qu’une seule lanière, la femme a un seul enfant ou alors aucun. En revanche, s’il y a deux lanières, cela signifie que la femme a deux enfants ou plus !

 

Le devenir du peuple Himba: le choc des civilisations

Si les Himbas sont toujours majoritairement attachés à leur terre, à leur vie d’éleveurs nomades et à leur tradition, ils sont aussi en contact permanent avec la modernité, et les usages se sont mis peu à peu à évoluer. Désormais, les Himbas complètent leurs besoins au supermarché, et des villages se sont tournés vers l’accueil des touristes. La législation nationale a rendu l’école obligatoire et gratuite pour tous les enfants jusqu’à l’âge de 16 ans. Des pères se sont mis à rêver que leurs fils deviennent médecin pour soigner les vieux du village… Ils souhaitent désormais bénéficier d’écoles, de dispensaires, mais aussi s’intégrer à la population namibienne qui les a longtemps mis à l’écart.

A quelques jours de marches des campements traditionnels se situe Opuwo, la capitale du Kaokoland, qui offre de nouvelles tentations ! Beaucoup de Himbas ont succombé à la tentation d’aller habiter en ville. Certains ont déjà pris l’habitude de se rendre au supermarché du coin et se sont créés des besoins pour certains produits. Mais pour s’offrir ces produits, il faut vendre des vaches… Pour eux, le cercle vicieux se referme: s’ils vendent leurs précieux bétail, ils n’ont plus de quoi se nourrir. Ils doivent acheter plus de produits au supermarché et donc vendre d’autres vaches. Ils finissent par abandonner leurs traditions et leurs vêtements, complètement absorbés par la société namibienne…

Quel sera le choix de la nouvelle génération soumise à cette pression du pays pour leur faire abandonner la tradition ? Pourra-t-elle résister aux tentations de la ville et de la société de consommation ? Les Himbas arrivent à une phase importante de leur histoire : ils doivent choisir entre un besoin de modernité avec l’ouverture au monde occidental, et un mode de vie ancestral dont ils sont très fiers. Préserver leur identité sera certainement le combat le plus difficile qu’ils auront à mener dans les prochaines années.

« Epi nava » (Au revoir)

 

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