4.3
(6)

Après une longue route à travers des paysages désertiques, nous apercevons enfin l’océan où d’énormes vagues de sable ondulent à perte de vue le long de l’Atlantique. Nous voici sur la Skeleton Coast ou Côte des Squelettes au nord de la Namibie, une étroite bande de dunes qui s’étend sur 500 kilomètres de long et 40 kilomètres de large. Autrefois, les navigateurs portugais l’appelaient « As Areias do Inferno » (les sables de l’enfer) car lorsqu’un navire s’y échouait, le sort des marins était définitivement scellé ! Les tribus San l’appellent quant à eux « le Pays que Dieu a créé un jour de colère ». Autant dire que ce territoire est l’un des plus inhospitaliers au monde.  Pourtant les baroudeurs, que nous sommes, ont osé s’aventurer sur cette terre où les bancs de brouillard et le sable tourbillonnant dans le vent créent un véritable sentiment de solitude et d’isolement.

« Les shamans disent que le temps est court,
La terre ne veut plus de ces beaux discours,
tu ne comprends pas, n’en fais qu’à ta tête,
tu finiras sur, la côte des squelettes »
(Bernard Lavilliers – La Côte des Squelettes)

 

La mystérieuse Côte des Squelettes: un désert de morts-vivants…

Le nom macabre « Côte des squelettes » doit probablement son origine aux nombreux vestiges de baleines et de navires échouéscomme le bateau de pêche Zeila Shipwrek, aujourd’hui simple refuge pour les cormorans. Cimetière de bateaux imprudents, la Côte des Squelettes est un littoral dangereux, souvent noyé dans le brouillard en raison du courant de Benguela qui transporte ses eaux froides depuis Cape Point en Afrique du Sud. Les eaux froides entrent alors en collision avec l’air chaud situé au large des côtes du désert namibien. Ce mélange extrême des températures crée un épais brouillard qui couvre à la fois le littoral et l’océan.

La Côte des Squelettes regorge de nombreux vestiges de navires échoués comme ce bateau de pêche nommée Zeila Shipwrek.

Beaucoup d’épaves de bateau ont été complètement détruites par le soleil, l’océan et le vent, mais quelques-unes sont encore visibles et elles sont parfois échouées au milieu du désert… Ces carcasses de navires témoignent de la progression du désert du Namib sur l’océan.

« Celui qui a inventé le bateau a aussi inventé le naufrage » (Lao Tseu)

L’Eduard Bohlen, un cargo allemand échoué en 1901, se trouve maintenant à plus de 500 mètres du rivage. L’autre épave célèbre du coin est celle du Dunedin Star qui s’est échoué en 1942. Ce navire transportait des munitions et du ravitaillement pour les forces alliées ainsi que vingt et un passagers fuyant Londres et la guerre. Les efforts de sauvetage qui ont suivi ont été marqués par la malchance et des conditions défavorables. Le remorqueur envoyé pour aider aux opérations de sauvetage s’est échoué, tandis que le bombardier Ventura, chargé de larguer des vivres pour les survivants du Dunedin Star, s’est écrasé dans l’océan après avoir livré sa cargaison à l’équipage et aux passagers de l’épave en détresse. Le remorqueur et l’avion de combat sont encore visibles aujourd’hui…

Ce chacal à chabraque est aisément reconnaissable à son dos noir. Son poitrail est quant à lui couleur crème et le reste du corps roussâtre.

Zone protégée depuis 1971, la côte abrite une faune d’une stupéfiante diversité: il n’est pas rare d’y croiser l’oryx gemsbok et la gazelle springbok ou encore le chacal à chabraque (Canis mesomelas) aussi appelé le chacal à dos noir, sa caractéristique la plus aisément reconnaissable… Son poitrail est quant à lui couleur crème et le reste du corps roussâtre. D’un point de vue scientifique, des études sur les fossiles tendent à montrer que le chacal à chabraque serait le plus ancien représentant du genre Canis. Sur la côte, les chacals patrouillent sur la plage: leurs empreintes sont aisément reconnaissables sur le sable mouillé ! Le chacal est probablement le meilleur d’entre nous quand il s’agit de profiter d’une situation. Serait-il lui aussi un opportuniste comme le chante si bien Jacques Dutronc ? Il se nourrit de termites, de fruits sauvages, de petits mammifères comme la souris et le lièvre, et de jeunes antilopes. Le chacal est aussi un charognard qui se nourrit des restes de chasse d’un autre prédateur. Il est capable de localiser les charognes jusqu’à une distance de 11 kilomètres sous le vent. Quel flair, non ?

« Ventre affamé n’a point d’oreilles, mais il a un sacré nez ! » (Le chat noir – Alphonse Allais)

Le chacal sait aussi tourmenter d’autres prédateurs comme la hyène tachetée pour essayer de lui voler un repas. Cependant, il essaie rarement de voler des restes du guépard, car il se méfie de sa vitesse. La côte compte également quelques 300 espèces d’oiseaux. Mais les stars incontestées du lieu restent les milliers d’otaries à fourrure de Cape Cross.

 

Cape Cross Seal Reserve: des otaries à fourrure par milliers

La réserve de Cape Cross couvre 60 km2 et abrite la plus importante des 23 colonies d’otaries à fourrure d’Afrique Australe. Malgré uneplage attrayante qui s’étend à perte de vue, oubliez dès à présent votre serviette de plage et votre maillot de bain. Bien que l’on soit en bord d’océan, la plage de Cape Cross est déjà largement occupée par des centaines de milliers d’otaries à fourrure (Arctocephalus pusillus). Les rochers et l’océan sont envahis d’otaries qui se prélassent. Pour mémoire, le nom otarie vient du grec « otarion » qui signifie « petite oreille ». En effet, contrairement aux phoques qui possèdent un trou à l’arrière des yeux, les otaries possèdent une oreille externe très bien visible. Ces milliers d’otaries offrent une ambiance particulière, un spectacle est à la fois fascinant et repoussant, où le bruit des cris et l’odeur nauséabonde brisent quelque peu le charme de l’océan. De nos cinq sens, l’odorat et l’ouïe sont mises à rude épreuve…  Si vous avez l’odorat sensible, un peu de baume du tigre sous les narines vous fera le plus grand bien…

Allongée sur dos, une otarie à fourrure dort en position allongée sur la plage de Cape Cross, au soleil, la tête posée sur un rocher.

L’otarie du Cap est la seule espèce terrestre. Elle possède une tête large et un museau pointu. Les mâles sont les plus imposants et peuvent mesurer jusqu’à deux mètres pour un poids de 350 kilos. Ils ont un ventre clair tandis que les femelles sont plus sombres en dessous. Sous une première couche de poils grossiers, ces otaries brunes portent une épaisse fourrure qui reste sèche et isole l’animal du froid et de l’humidité. Cette fourrure permet à l’otarie de maintenir une température de 37°C et de passer de longues périodes dans les eaux froides. Et c’est tant mieux car ici les otaries profitent des fortes concentrations de poissons présentes dans les eaux glaciales du courant de Benguela: une otarie à fourrure absorbe chaque jour une quantité de nourriture équivalente à 8% de son poids ! Une fois dans l’eau, l’otarie retrouve toute sa vélocité pour pêcher dans les rouleaux et jouer avec les vagues. On passe un long moment à les regarder évoluer et pêcher dans ces eaux froides. Une fois la pêche terminée, l’otarie regagne la plage et se laisse tranquillement sécher au soleil.

A l’aise dans l’eau grâce à son corps très souple et flexible, l’otarie palme avec ses pattes avant. Ses longues palettes natatoires lui permettent de voler sous l’eau.

Si l’otarie de Namibie vit en collectivité (colonies), elle n’est guère sociable. Les animaux ne cessent de se quereller entre eux pour défendre leur territoire. Chaque territoire est durement acquis avec force, au cours de batailles et de combats. Le territoire d’un mâle englobe celui de plusieurs femelles, la taille d’un harem étant d’environ 50 femelles. Mais contrairement à de nombreuses autres espèces d’otaries, les femelles de celles-ci sont libres de choisir leur partenaire… Elles ne pèsent que 75 kg environ et mettent bas un seul petit qu’elles ont porté pendant neuf mois. A l’exception des jeunes qui voient le jour entre novembre et décembre, (en plein été austral), et qui jouent ensemble, la quasi-totalité des rapports entre les individus fonctionne sur un mode hostile. Cette otarie, par exemple, semble avoir une véritable rage dedans ! Comme le disait le chanteur français Pierre Perret :

« Quand on a une dent contre quelqu’un, il est inutile de mâcher ses mots » (Pierre Perret)

Bref, toute ressemblance avec une autre espèce du règne animal serait purement fortuite ! La vie en groupe permet de se reproduire et de réduire les risques de prédation. Il n’est pas rare de croiser des chacals à chabraque ainsi que des hyènes brunes essayant de chasser les plus faibles ou les plus jeunes… Le taux de mortalité infantile est de 25% en grande partie à cause de la prédation des chacals à chabraque et des hyènes brunes.

 

La croix en pierre de Cape Cross de retour en Namibie

Cape Cross est doublement intéressant: pour les otaries bien évidemment, mais aussi à cause de son Histoire qui nous renvoie aux grandes épopées maritimes du 15ème siècle. Sous le règne de Jean II le Parfait (comme le pâté de foie en tube, spécialité 100% Suisse), la recherche d’une nouvelle route des Indes était une priorité absolue de l’époque. Le navigateur Diogo Cão se mit en route avec ses navires chargés de croix en pierre taillées dans une roche extraite des carrières de Lisbonne. Ces croix en pierre (les padrãos) de trois mètres de haut et qui pèsent plus d’une tonne étaient destinées aux nouvelles terres découvertes. Elles représentaient à la fois la puissance du royaume du Portugal (avec son emblème portugais) et le symbole du règne de la chrétienté (avec sa croix chrétienne). En 1486, les vaisseaux atteignirent l’embouchure de la Kunene puis longèrent la Côte des Squelettes jusqu’à environ 140 kilomètres au nord de l’actuelle ville de Swakopmund. A bout de forces et d’espoir, dans des paysages désolés et battus par les vents avec d’épaisses brumes dignes des ténèbres d’Érèbe, Diogo Cão érigea sa croix le 8 avril 1486 et rentra au bercail illico sans avoir atteint le but de son voyage. Cette date marque la naissance de Cape Cross qui constitue le point le plus au sud de l’Afrique découvert par les européens. La croix (cross) en pierre (padrão) érigée pour marquer l’emplacement du Cap comporte cette inscription gravée sur la pierre:

« En l’an 6685 après la création du monde et 1485 après la naissance du Christ, le brillant et clairvoyant roi Jean II du Portugal a ordonné à Diogo Cão, chevalier de sa cour, de découvrir ce pays et ériger ce padrão ici »

La croix d’origine a été enlevée en 1893 par capitaine Gottlieb Becker, commandant du croiseur allemand Falke et emportée à Kiel, avant d’être exposée dans un musée berlinois. Une simple croix en bois a été mise à la place avant d’être remplacée plus tard par une réplique. Puis une seconde croix fût érigée. Les croix que l’on voit aujourd’hui sont donc deux répliques.

Une seconde croix en dolérite a été érigée en 1980 à l’endroit précis où Diogo Cão avait dressé la sienne. Elle porte l’emblème portugais.

Cependant plus de 120 ans après son transport vers l’Allemagne, la Namibie va enfin pouvoir récupérer sa croix en pierre ! L’actuelle ministre allemande de la Culture, Monika Grütters, a déclaré, lors d’une conférence de presse au Musée de l’Histoire allemande: « La restitution de la croix en pierre de Cape Cross est un signal clair que nous reconnaissons notre passé colonial et que nous cherchons et trouvons avec les pays d’origine les moyens d’avoir une cohabitation respectueuse ». Si le travail de mémoire de l’Allemagne sur la période nazie est généralement jugé exemplaire, il n’en était pas de même concernant la période coloniale en Afrique, de la deuxième moitié du 19ème siècle et du début du 20ème, longtemps délaissée… Les choses ont commencé à évoluer ces dernières années avec la restitution d’ossements datant de la colonisation africaine. La future restitution de la croix de Cape Cross constitue le dernier épisode en date de la volonté de Berlin de tirer un trait sur son passé colonial.

A Cape Cross, sur la plage face à l’océan Atlantique, le ciel et les nombreux nuages se teintent d’orangé au fur et à mesure que le soleil décline.

Nous terminons cette journée avec ce magnifique coucher du soleil sur l’océan Atlantique. Heureux comme Ulysse, nous avons vu cent paysages… Nous savourons la chance que nous avons de vivre ces moments d’exception. Rares sont les endroits dans le monde où l’on puisse profiter d’un tel sentiment de solitude et d’isolement…

« Avec le soleil et le vent / Avec la pluie et le beau temps / On vivait bien contents » (Heureux qui comme Ulysse – Georges Brassens)

 

Découvrez mes autres articles sur la Namibie

 

Quelle a été l'utilité de cet article ?

Cliquez sur les étoiles pour l'évaluer !