La Havane, un dernier saut dans la culture cubaine… La capitale coloniale est un véritable décor de cinéma entre décrépitude et beauté éclatante ! Avec le temps… / Avec le temps va tout s’en va / Mêmes les plus chouettes souvenirs… (Léo Ferré). Qui ne rêverait pas de tourner, dans les rues de La Havane, une adaptation cinématographique des enquêtes du lieutenant de police Mario Conde ? Comment ne pas ressentir l’envie de partir à l’aventure en compagnie de ce personnage fictif des polars de Leonardo Padura ! Et vous, êtes-vous prêt à plonger dans une adaptation de « l’Automne à Cuba », pour découvrir un instantané de La Havane ? Car comme se plaisent à dire les havanais, « Cuba es La Habana, y lo demás es paisaje ! » (Cuba, c’est La Havane, le reste c’est du paysage !)
Par où commencer notre enquête ? Sans doute par le célèbre Malecón (front de mer) qui longe le littoral nord de la capitale cubaine sur 8 kilomètres entre le quartier Vedado (du Castillo de la Chorrera) et la Havana Vieja (au Castillo de la Punta). On s’y promène, on y danse, on y pêche (des pêcheurs et des pélicans) ou l’on peut simplement s’y asseoir pour admirer le ballet incessant des voitures anciennes, vestiges des années d’opulence… Les embruns ont grignoté le béton, les vagues tumultueuses de l’océan explosent sur le parapet, éclaboussant les piétons (l’eau mouille, je confirme !)… Et les immeubles côté boulevard offrent un échantillon pittoresque des différentes tendances de l’architecture havanaise. Ils montrent aussi les traces du passage du temps (les maisons de l’époque espagnole sont souvent sales et en décrépitude) et de l’agressivité des vents et de la salinité. Du Parque Antonio au Prado, de vieilles maisons aux tons pastel délavés par les embruns donnent au boulevard une certaine douceur qui se perd graduellement à mesure que les immeubles « modernes » des années 1950 apparaissent. Le Parque Antonio Maceo, trop bruyant et passant pour être reposant, abrite le Monumento a Antonio Maceo, général mulâtre des guerres d’indépendance surnommé le « Titan de bronze » (à cause de sa force et de sa couleur de peau !). De l’autre côté du parc on aperçoit la Capilla la Inmaculada, un couvent de style néo-gothique. Si notre regard se porte à nouveau vers l’océan, le fort El Morro (ou Castillo de los tres Reyes del Morro) est maintenant parfaitement visible depuis le Malecón. Ce fort a été construit par l’architecte militaire Juan Bautista Antonelli entre 1589 et 1630 pour protéger l’embouchure du port.
Mais poursuivons notre progression en direction de la Habana Vieja (vieille ville) … en passant par le Centro Habana. On se perd dans le dédale des rues où l’on voit le quotidien des cubains défiler au fil de notre parcours. Dans les rues, les slogans révolutionnaires peints sur les murs sont omniprésents comme s’il fallait rappeler à la population les bienfaits de la révolution. La vie des cubains est rythmée par les contraintes de la pénurie: manque de produits de première nécessité, surtout alimentaire, coupures d’électricité, restriction sur l’essence etc. En lisant Perdura, j’avais découvert un instantané de Cuba, une description du quotidien des cubains, dans leurs difficultés morales et matérielles… Maintenant, en déambulant dans les rues du Centro Habana, je ne peux que partager les réflexions à la fois lucides et pleines d’humour, de l’auteur et de son lieutenant de la police de La Havane, Mario Conde, sur l’échec des utopies… Le linge sèche sur les balcons, les vendeurs de rue crient pour prévenir de la vente de leurs articles (3 jours de salaire pour acheter 450g d’oignons !), des gens se pressent à l’ouverture du magasin au coin de la rue, d’autres sirotent un délicieux jus de Guarapo (sucre de canne) tandis qu’un jeune garçon se refait une beauté dans un salon de coiffure. Plus loin, des « apprentis garagistes » tentent une énième réparation de fortune sur une vieille máquinas au garage du coin… le Système D et la débrouille font partie du quotidien des cubains ! On se sent de nouveau transporté dans un film policier des années 50 à l’époque de la prohibition aux Etats-Unis sauf que nous sommes à Cuba et que des notes de musique (salsa, son, rumba, cha-cha-cha, boléros etc.) s’échappent des fenêtres entrebâillées des immeubles toute la journée. Les bâtiments délabrés, effondrés ou simplement privés de balcons ou de toits avec le temps, et la poussière importante donnent au Centro Habana un côté fané ; mais on ne peut cependant s’empêcher de s’émerveiller face à cette architecture totalement hétéroclite (Ah, la splendeur fanée des frontons décrépits !) et à cette explosion de couleurs… Y a-t-il pour autant péril en la demeure ? Non, La Havane populaire et colorée est là sous nos yeux !
Tout à coup, on débouche au kilomètre zéro de la capitale cubaine (comme Notre Dame à Paris): situé en plein cœur de la capitale cubaine, entre les rues Prado, Dragones, Industria et San José, le Capitolio Nacional est l’un des édifices les plus imposants de La Havane. Similaire au capitole américain de Washington (l’illusion est presque parfaite avec son bus jaune garé devant !) il est forcément plus haut, plus grand, plus beau, plus je ne sais quoi d’autre que son homologue américain. Il fût érigé en 1929 sous la conduite de l’architecte Eugenio Raynieri Piedra. Il abritait les deux Chambres constituant le corps législatif de la République de Cuba jusqu’à la révolution de 1959… Aujourd’hui, il est le siège de l’Académie des sciences et de la technologie. Juste à côté, se trouve le majestueux Gran Teatro de La Habana, rénové dans un style néobaroque. Couronné dans ses angles par des victoires ailées, c’est le temple des arts de la scène à Cuba. On peut y admirer des sculptures de Giuseppe Moretti qui symbolisent la bienveillance, l’éducation, la musique et le théâtre… Il dispose de plusieurs salles pour les représentations théâtrales, concerts et conférences ainsi qu’une galerie d’art et plusieurs salles de répétitions. En face du Capitole, se trouve le Parc Central, rendez-vous des vieilles voitures américaines, restaurées, aux chromes lustrés et aux couleurs flamboyantes. Elles vous attendent là, sagement garées, pour une balade en ville qui passera à coup sûr par le Prado (Paseo de Marti), l’avenue historique très fréquentée, bordée d’arbres et de statues de lions en bronze.
Le Capitole c’est aussi l’une des portes d’entrée de la Habana Vieja. Le changement de décor est presque choquant: des façades colorées trop propres, trop neuves, des musiciens, des bars, des restaurants, des coco-taxis, des mannequins… et des troupeaux de touristes ! On quitte l’arrière-boutique de La Havane pour admirer sa vitrine, la Habana Vieja (la vieille ville) classé au patrimoine à L’UNESCO. Ici tout est mis en œuvre pour que la réalité colle avec cette image carte postale que l’on peut se faire de la ville. Des travaux de restauration titanesques ont permis de redonner au vieux centre tout l’éclat de son prestige historique: des trésors d’architecture baroque, néoclassique et Art nouveau se succèdent… La Place des Armes (Plaza de Armas) en est le centre historique, avec le monument El Templete, un petit temple néo-classique où s’est réuni le premier conseil de la ville, et avec le Palais des Capitaines généraux, autrefois résidence des gouverneurs et aujourd’hui Musée de la ville. On y trouve aussi El Castillode la Real Fuerza (la plus ancienne construction militaire du pays – construite de 1558 à 1577) avec sa célèbre tour surmontée par la fameuse girouette « Giraldilla » – une reproduction de la plus ancienne statue de bronze de Cuba réalisée en 1632 par le sculpteur Jeronimo Martinez Pinzon), véritable symbole de la ville (on la retrouve notamment sur les bouteilles de rhum Havana Club !). Un peu plus loin, la Plaza de San Francisco offre des édifices aux imposantes arcades dont la Lonja del Comercio, marché de matières premières construit en 1909. On y trouve aussi le terminal de la Sierra Maestra véritable vestige de l’âge d’or de l’exportation vers le vieux continent des denrées très prisées en Europe… Enfin, au sud de la place trône l’impressionnante Basilique de San Francisco de Asis. Quant à la Plaza Vieja, qui fut un marché ouvert où s’opérait, entre autres, le plus important négoce d’esclaves de la ville, elle a été entièrement restaurée en un ensemble homogène de maisons avec des arcades, des balcons, des grilles en fer forgé et des cours intérieures… Ici, vous ne croiserez que peu de cubains, hors « figurants » et jineteros (ces personnes qui accostent les touristes à Cuba et qui utilisent la manipulation et une gentillesse déguisée pour extorquer quelques CUC). Les figurants, comme ces deux femmes habillées de la robe traditionnelle colorée, sont là pour vendre du rêve en donnant de la couleur et de la gaîté aux rues de la vieille ville… Là, c’est une mamie affable arborant un énorme cigare, ici c’est un cubain avec sa guitare qui joue les premières notes de Chan Chan: « De Alto Cedro voy para Macané / Luego a Cueto voy para Mayarí / El cariño que te tengo / Yo no lo puedo negar… ».
A deux pas de là, la Calle Obispo (ou rue Obispo) est un corridor commercial où les magasins de marques ont pignon sur rue. Un plaisir des yeux uniquement pour les havanais car qui pourrait s’offrir le dernier truc à la mode dans un pays où se nourrir reste problématique ? Mais bien plus célèbre qu’Obispo (le chanteur français), « Plus que tout au monde », la star du coin c’est évidemment Ernest Hemingway. Il a immortalisé le bar-restaurant El Floridita, connu comme le berceau du Daïquiri. Une statue de bronze à son effigie, accoudée au comptoir, nous rappelle qu’il y éclusa de très (trop) nombreux daïquiris, dont il inventa même une recette singulière, le « Papá Doble »: double ration de rhum, sans sucre ! C’est ici qu’il a écrit une partie de son célèbre roman « Pour qui sonne le glas », inspiré par la guerre civile espagnole, dans laquelle il était correspondant de guerre. A quelques pas du bistrot se trouve le luxueux hôtel Ambos Mundos où Ernest Hemingway demeura dans les années 1930 dans la chambre 511, transformée aujourd’hui en mini-musée pour les nostalgiques de « Papá ». Mais au fait, est-ce que Mario Conde a fini par élucider cette sombre histoire de cadavre déterré dans le jardin d’Ernest ? Hum, hum, Hemingway, un assassin ? Même le héros désenchanté de Perdura en doute lorsqu’il s’exclame: « il n’aurait pas eu les couilles pour tuer quelqu’un » ! Mais pour le fin mot de l’histoire, lisez « Adios Hemingway »… Enfin, clôturons cette enquête avec la visite de la Plaza de la Revolución (Place de la Révolution), une immensité goudronnée autrefois utilisée comme lieu de célébration des grands évènements comme le lancement de la campagne d’alphabétisation, la cérémonie d’adieux au Che ainsi que les discours interminables de Fidel Castro… Elle est bordée côté sud par le mémorial José Marti, une tour en forme d’étoile de 109 mètres de haut en marbre blanc de Cuba, entouré de six colonnes (représentant les provinces de Cuba) et de jardins. La place est entourée d’édifices gris, notamment le bâtiment du ministère de l’Intérieur sur lequel est représenté Che Guevara (Hasta Siempre Comandante) et le bâtiment des télécommunications où trône Camilo Cienfuegos considéré comme la troisième figure marquante de la révolution cubaine : « Hasta la vistoria siempre ! »
Voyager à Cuba, c’est plonger au cœur d’une histoire à la fois magnifique et terrible et se donner la possibilité de se construire une opinion personnelle, certainement plus nuancée et complexe que les clichés trop souvent véhiculés. C’est la fin du séjour, des sentiments divers m’envahissent, je suis partagée… C’est certain, on ne sort pas indemne de ce pays ! En partant avec toutes ces couleurs de l’île en tête, je me demande quand même si « la misère est moins pénible au soleil » comme le chante Charles Aznavour (Emmenez-moi).