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Lorsque l’on survole les environs de la Nouvelle-Orléans, les reflets verts et bleus du soleil dans l’eau du delta du Mississippi laissent une étrange impression… L’eau est partout, entre l’océan, le fleuve et le vaste lac salé Pontchartrain ! Les routes sont suspendues au-dessus de l’eau sur des piliers et la végétation a elle aussi les racines dans l’eau. L’eau est abondante en Louisiane (ou « Lwizyàn » en créole louisianais) puisqu’elle recouvre environ 9 000 km² ! Sur tout le Sud-Est de l’Etat, les terres alluviales sont drainées par des chenaux que l’on appelle Bayous (dérivé du mot indien Choctaw « Bayuk » signifiant petit cours d’eau). Les bayous, truffés de bras d’eau, s’étendent sur des centaines d’hectares constituant un réseau navigable de milliers de kilomètres de boyaux. Contrairement à la mangrove, le bayou se compose d’eau douce mue par un mouvement très lent de marée, imperceptible, qui va de la terre vers la mer à marée basse et s’inverse à marée haute. Cet espace marécageux est également baptisé pays Cajun, du nom des Acadiens, paysans poitevins, bretons et normands émigrés au Canada, d’où ils furent chassés par les Anglais en 1755 (lors du « Grand Dérangement »). Après une longue errance sur la Côte est des Etats-Unis, ce peuple d’exilés s’installa finalement dans le delta du Mississippi. Ces Cadiens francophones ont baptisé leurs territoires de noms qui respirent encore la culture française : Bayou Vermillon, Bayou Mouchoir de l’Ours, Bayou Queue de Tortue, Bayou Grand Caillou ou encore Bayou Terrebonne… Le pays Cajun, est limité au Nord par la ville de Bâton Rouge, et au Sud par le Golfe du Mexique, à l’Est par la rivière Pearl, et à l’Ouest par la rivière Sabine. La devise du coin, c’est « Laissez les bons temps rouler » ! Alors, roulons ensemble… et prenons le temps de découvrir ce mystérieux et envoutant pays Cajun.

Le bayou, un réseau navigable de milliers de kilomètres…

Le Jean Lafitte National Historical Park and Preserve est un parc qui protège les riches ressources naturelles et culturelles du delta du Mississippi. Portant le du nom du célèbre pirate et flibustier Jean Lafitte, le parc est constitué de six sites répartis dans tout l’Etat et d’un centre de visite situé dans le Quartier Français de La Nouvelle-Orléans. Située à une vingtaine de minutes au sud de la métropole, la Barataria Preserve, est l’un de ces six sites. C’est une réserve naturelle couvrant 8 100 hectares de terres immergées et de marécages… Les bras et méandres du Mississipi ont donné naissance à un extraordinaire réseau de marécages reliés au Golfe du Mexique. Ils ont nourri une forêt ressemblant à une jungle dense, parsemée de cyprès chauves (pouvant atteindre 70 mètres de haut), de chênes d’eau, d’érable rouge, de gommiers etc. et à de mystérieux rideaux de mousse espagnole (signe de pureté de l’air) qui s’effiloche autour des chênes et des cyprès. Cette mousse espagnole (une référence paraît-il à la barbe des occupants espagnols…), fille de l’air ou encore barbe de vieillard est un épiphyte qui vit sur d’autres plantes, et qui absorbe les substances nutritives (en particulier Ca, Mg, K, et P) de l’humidité de l’air et de l’eau de pluie. Dans cette végétation aquatique entremêlée, le cyprès chauve est aisément reconnaissable avec ses excroissances verticales qui sont en réalité des racines aériennes que l’on appelle les « Genoux de Cyprès ».

Les cyprès chauves

Un séjour en Louisiane ne serait pas complet sans une excursion nautique dans les mythiques bayous. Au cœur de cette nature sauvage, nous embarquons pour un « swamp tour », guidés par un cajun de souche, ancien chasseur d’alligators, toujours prêt à raconter de croustillantes anecdotes… On s’attendrait presque à l’entendre fredonner « born on the bayou » du groupe Creedence Clearwater Revival ou « Lover of the Bayou » de The Byrds. Notre guide, qui ne dépareillerait pas dans la galerie des personnages du roman de Tom Cooper (« Les Maraudeurs ») sait où trouver les alligators alanguis et les tortues aussi appelées Pop corn à alligators (pas besoin d’en dire plus, les pauvres petites tortues !). Il se tient alerte pour signaler les oiseaux en vol ou qui tentent, immobiles, de repérer le dîner: le héron bleu ou blanc, l’aigrette bleue, le pélican blanc (emblème du drapeau de la Louisiane ! ), le balbuzard, la buse à queue rousse, le cormoran, le martin-pêcheur, le canard ramier, sans oublier le fameux pygargue à tête blanche ou aigle d’Amérique, symbole de la nation. Vous l’aurez compris, ces marais sont un véritable eldorado pour les passionnés d’ornithologie: on peut y observer plus de 300 espèces d’oiseaux différentes. Sur ses rives, on découvre une faune toute aussi abondante … Il faut être doublement vigilant pour apercevoir le « cocodrie » (alligator), la vedette incontestée des bayous, habilement caché, mais aussi « le chaoui » (raton laveur), « la barbue » (poisson chat), le marcassin d’eau et les infernaux opossums et ragondins, honnis parce qu’ils détruisent les berges et les plantations de canne à sucre. Et là, ne serait-ce pas Juju, le fidèle animal de compagnie (serpent) de Mama Odie du dessin animé « La Princesse et la Grenouille » ? Hum, hum on dirait plutôt un mocassin d’eau (Agkistrodon piscivorus leucostoma), la seule vipère semi-aquatique du monde dont la morsure est douloureuse et potentiellement mortelle… Quant à la flore, elle n’est pas non plus en reste puisque l’on dénombre quelques 4500 espèces: des iris pourpres (dont l’Iris de Louisiane), des lys des marais aux étamines rouges, des jacinthes d’eau, les Crinum americanum, les nénuphars jaunes et bien sûr omniprésents, les cyprès au tronc conique avec leur reflet dans l’eau.

Des tortues

Le bateau à fond plat glisse tranquillement dans le bayou. On retient notre souffle à l’approche de deux yeux immobiles dans l’eau verdâtre: un alligator s’approche doucement. Serait-ce le célèbre Ben Ali Gator du grand classique Fantasia de 1940 ? Mais si, vous vous souvenez certainement de cette séquence mythique de La Danse des Heures où les alligators menés par Be valsent avec des hippopotames, éléphantes et autruches ballerines… tout en ayant une forte envie (c’est leur instinct de prédateurs !) de manger leurs partenaires ! Mouais, maintenant qu’il s’approche, ça pourrait tout aussi bien être Louis sans sa trompette… mais trop tard, il plonge hâtivement et disparaît sous l’eau ! Serait-ce l’instinct de préservation ? Le saurien reste toujours méfiant face à son prédateur numéro 1, l’Homme… Comme le chante Zachary Richard, probablement le plus connu des chanteurs cajuns louisianais, la chasse au « cocodrie » reste toujours ouverte:
« Mo m’attraper li cocodrie / M’attraper li cocodrie »
« M’aller dans le marais de dans mon ‘tit bateau / Garder à droit et à gauche pour des traces du vieux coco / Quand mo li voit sauter deux pieds dans le bayou / Pis cuire son queue sur le bar-b-q / Vendre sa peau pour des Italian shoes ».

« Mo m’attraper li cocodrie / M’attraper li cocodrie »
« Attraper cocodrie, ça fait beaucoup d’ouvrage / Sauter dans l’eau avec coco, ça prend beaucoup de courage / Se battre avec cette grosse bête là, ça fait du halayage / Pis fait attention à quoi tu fais / Ou tu deviendras son déjeuner ».

Deux yeux immobiles…

C’est le long du fleuve Mississippi, lequel servait pour l’irrigation et le transport des récoltes, que se trouvent la plupart des plantations. Le terme « plantation » désigne à la fois la propriété et ses cultures, mais aussi l’habitation principale située sur celle-ci. Autrefois maisons des riches planteurs créoles de coton et de canne à sucre, les plantations sont devenues des musées qui peuvent aujourd’hui être visitées, principalement au nord ou au sud de la capitale Bâton Rouge… Pour la petite anecdote, deux tribus indiennes avaient planté un bâton… rouge, afin de démarquer leur territoire. Un français nota sur sa carte: « Bâton rouge » à l’emplacement du piquet. Le nom est resté ! La guerre civile et l’émancipation des esclaves ainsi que la découverte de nouveaux textiles (entraînant la baisse de la demande en coton) causèrent le déclin des plantations qui disparurent petit à petit à la fin du 19ème siècle. Des 350 maisons de plantations qui existaient entre la Nouvelle-Orléans et Bâton Rouge, il n’en reste aujourd’hui plus que 8 situées sur les rives du Mississipi. À Vacherie, un petit village situé le long du fleuve, se trouve la plantation Laura, rebaptisée du prénom de la dernière propriétaire. Construite en 1804 par des esclaves sénégalais (elle fut d’abord préparée en kit, tous les morceaux étant numérotés… l’ancêtre du Kapla ?), la plantation Laura est l’une des dernières plantations créoles de Louisiane. Elle compte encore 12 bâtiments d’origine parmi lesquels: l’habitation principale, deux maisons créoles, une autre acadienne et des cabanes d’esclaves. C’est avec Guillaume Duparc, un vétéran français de la marine (originaire de Caen) et sa femme Nanette Prud’Homme (les arrière-grands-parents de la fameuse Laura) premiers propriétaires de la plantation que commence notre voyage dans le temps pour suivre la saga familiale trépidante des « Duparc-Locoul »… L’histoire a été fidèlement reconstituée à partir des mémoires écrites (« Memories of the old plantation home: a creole family album) de l’arrière-petite-fille du fondateur de la plantation, Laura Locoul (1861-1963) et de documents provenant des Archives Nationales à Paris.

La plantation Laura, des chaises à bascule sous un porche…

Des chaises à bascule sous un porche, des sentiers bordés d’immenses chênes verts centenaires et de magnolias, l’architecture en bois de la maison principale est simple, typiquement créole, avec une galerie sur le devant, et de larges portes permettant à l’air frais venant du Mississippi d’entrer dans la maison. Cette plantation est très différente des plantations américaines de style néo-classique (maisons blanches à colonnades) : le style « Caraïbe » opposé au british « Antebellum » ! La maison est très colorée, avec ses murs jaunes et son toit rouge. A l’intérieur, les pièces sont sobrement meublées, on n’y trouve pas d’objets luxueux. Les poutres en cyprès, un bois inaltérable à l’eau et aux termites ont environ 600 ans ! Lors de la visite, on est littéralement plongé dans la vie quotidienne de la famille créole « Locoul »: la guide nous raconte leur histoire sur plusieurs générations grâce aux mémoires de Laura, dernière propriétaire de la plantation. Quatre générations d’amour et d’avidité, de fierté et de trahison, d’héroïsme et de petitesse, de violence et d’excès… Bref, beaucoup de « Bruit et de Fureur » comme dans un roman de William Faulkner ! Cette visite est particulièrement vivante et permet de bien comprendre la culture créole et l’histoire de La Louisiane, marquée par les exploitants de cannes à sucre; on est immergé dans la vie des Créoles à l’époque où ils étaient le peuple riche de La Louisiane grâce à l’or blanc: le sucre de canne ! Ils ne se considéraient pas du tout comme Américains ; leur identité était Créole, leur langue était le français, et leur foi était le catholicisme !

L’architecture en bois de la plantation Laura

Laissons nous emporter dans ce voyage temporel avec la famille « Duparc-Locoul »… A la mort de son mari en 1808, Nanette Prud’homme prend les rênes de la plantation sucrière, devenant ainsi la première des quatre générations de femmes d’affaires. La plantation devient alors l’un des plus grands producteurs de sucre de la région tout en se diversifiant dans d’autres activités comme le bois de construction et le bétail… En 1829, elle passe la main à sa fille Elizabeth (qu’elle estimait plus capable que ses fils pour la direction de l’exploitation – sympa l’ambiance familiale !) qui fit de la plantation un important réseau de distribution de vins français en Louisiane (notamment grace à son mariage avec Raymond Locoul, un riche français, propriétaire d’un château et producteur de vins de Bordeaux). Je donnerai une mention spéciale à grand-mère Elizabeth pour son côté peau d’vache ! Elle partagea la plantation entre ses 2 enfants, Emile (le père de Laura) et Aimée, cette situation donnant lieu à de fréquentes querelles familiales. Laura naquit en 1861, au début de la guerre de Sécession… « La Guerre de Sécession est arrivée et la Guerre de Sécession est partie, mais rien n’a changé sur l’habitation » dixit Laura. Cette simple constatation va à l’encontre de ce qu’on nous enseigne à l’école ou de ce que nous montre certains films: la vie sur les plantations de canne à sucre en Louisiane est restée pratiquement inchangée après la Guerre de Sécession ! Le rôle des esclaves, leurs conditions de vie et leurs difficultés pour entrer dans la société, une fois affranchis est abordé sans détour lors de la visite du quartier des esclaves avec ses cabanes en bois (6 cabanes aujourd’hui contre 69 autrefois). C’est l’occasion de saisir toute la complexité des liens qui unissaient les maîtres et certains esclaves qui sont devenus de fait, au fil du temps, membres de la même famille, sans jamais jouir des mêmes droits… Après avoir dirigé la plantation pendant de nombreuses années, l’héritière rebelle a finalement rejeté les coutumes profondes du monde créole pour devenir une Américaine moderne du 20ème siècle… une plongée dans un univers parallèle : « Autant en emporte le temps », l’histoire tient à peu de chose…

 

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