Le désert d’Atacama au nord du Chili… Dans ce monde minéral, tout semble si grand, si infini, si calme. Pourtant, quelques pierres s’impatientent: elles attendent le jaillissement matinal du geyser pour se réchauffer de cette nuit glaciale passée en altitude ! A 90 kilomètres au Nord de San Pedro de Atacama, quelques 80 geysers offrent un spectacle quotidien aux lève-tôt, dès les premières lueurs du soleil. Les Geysers del Tatio se trouvent sur l’altiplano à 4300 mètres d’altitude dans la région d’Antofagasta, au pied des volcans Tatio (5208 mètres) et Linzor (5680 mètres) et du Cerro Linzor (4380 mètres). Le nom El Tatio provient du mot « el tata » qui signifie « grand frère ». Selon la légende locale, à environ 10 kilomètres au sud-est de cette vaste zone géothermale, le volcan du même nom, a paraît-il donné sa force aux geysers et s’érige aussi en protecteur des Atacameños… comme tout grand-frère digne de ce nom.
Avec une surface de plus de 30 km², El Tatio est la troisième plus grande zone géothermale de l’hémisphère Sud et la plus haute du monde. Plusieurs dizaines de fumerolles et de solfatares, plus d’une centaine de sources chaudes (dont 80 geysers) et quelques cratères de boue recouvrent la zone géothermale de El Tatio, située entre 4200 et 4600 mètres d’altitude. Même si la hauteur moyenne des geysers est inférieure à un mètre, le spectacle est grandiose au lever du jour quand les contrastes de température sont maximum et que les vapeurs s’élèvent. Bien sûr, le show se mérite: il faut se lever au milieu de la nuit (départ aux environs de 4h30/5h du matin selon la saison) pour parcourir les kilomètres qui séparent ce site de San Pedro de Atacama, afin d’être aux avant-postes aux premières lueurs du jour. On peut alors admirer la lumière rasante de l’aube où s’élèvent vers le ciel quelques 80 colonnes de vapeur. Mais d’où provient cette eau qui atteint 86°C en surface, la température d’ébullition de l’eau à 4300 mètres d’altitude ? Cette eau est issue des précipitations et de la fonte des neiges et s’infiltre à une vingtaine de kilomètres au sud-est de El Tatio. L’eau suit un système de failles à une vitesse d’environ un kilomètre par an, elle s’enfonce et circule sous terre pendant une quinzaine d’années. C’est à une profondeur atteignant 800 à 1000 mètres que cette eau est réchauffée (jusqu’à 260°C) et qu’une petite partie mise sous pression remonte au nord-ouest et donne en surface les geysers et les sources chaudes de la zone de El Tatio.
Le spectacle commence dans une douce obscurité bleutée. Dans l’atmosphère glaciale du petit matin, bien emmitouflé mais le bout du nez congelé par les -10°C extérieurs, on déambule dans ce paysage féerique de fumerolles blanches, accompagné par le bruit sourd de l’eau qui gronde sous terre, puis qui jaillit et se dissipe dans les airs. Le site d’El Tatio est percé de fontaines géothermiques de toutes dimensions et parfois des colonnes d’eau bouillante défient la gravité pendant quelques secondes avant de replonger vers le sol. Lorsque le soleil s’invite à la fête, sa lumière modifie la perception des lieux et nous offre des effets miroir et un jeu de cache-cache entre le soleil et les vapeurs. Au son des sifflements des dizaines de bouilloires qui nous entourent, nous découvrons alors lentement les couleurs des roches et de la plaine environnante. Lorsque les rappels du ballet des geysers sont terminés et que la musique saccadée des bouilloires s’interrompt pour de bon, on continue à se balader autour des mares d’eau colorée. Sur les terrasses de geysérite les eaux chaudes permettent le développement de petites algues et de bactéries qui se colorent en fonction des oxydes sécrétés. Hé oui, contre toute attente il y a de la vie ici ! Avant de prendre le chemin du retour, il est possible de se baigner dans une « piscine » remplie par les eaux des geysers une fois qu’elles sont refroidies en coulant sur le sol. Alangui dans cette eau bouillante soufrée, vous serez entourés d’allemands, de brésiliens, de chiliens et de français, cuisant eux aussi dans « el marmita »… Si cette « baignade version tourisme de masse » n’est pas votre tasse de thé, rassurez-vous, il existe des endroits beaucoup plus tranquilles et intimes pour se baigner dans une rivière d’eau chaude. Vous pourrez y barboter tout en profitant de l’altitude, des sommets enneigés et de la pureté du ciel, seulement dérangés par des viscaches des montagnes parfois aussi appelées lièvres des pampas.
Dans la partie sud-est du plateau d’El Tatio, on aperçoit les restes rouillés d’une ancienne station géothermique. Sept forages, profonds de 870 à 1820 mètres ont été creusés entre 1969 et 1974 pour exploiter la géothermie et alimenter en électricité la mine de cuivre de Chuquicamata et la ville de Calama. Pour des raisons techniques ces installations ont été totalement abandonnées. En juillet 2008, l’entreprise Geometrica del Norte (détenue majoritairement par le groupe d’énergie italien Enel) a tenté une nouvelle fois de forer le champ géothermique afin d’atteindre une source d’eau chaude dans les sous-sol du Tatio. Le résultat fût l’émergence inexpliquée d’une colonne de vapeur de plus de 60 mètres de haut pendant plusieurs semaines. Ici, la nature ne se laisse pas dompter facilement ! Depuis ce jour, les Atacameños utilisent l’expression « Tatio Mallku » ( « Le grand-père qui pleure » en langue kunza) en référence au son larmoyant qu’aurait produit la Terre-Mère (la « Pachamama ») en ce jour de 2008 où elle fût transpercée par l’homme… Il faut espérer que dans le futur, la « Pachamama » conserve assez de force pour démotiver les futurs « foreurs de la terre » comme elle le fît à plusieurs reprises déjà.
Sur la route du retour d’El Tatio, il est impossible de manquer le petit village de Machuca perché à 4200 mètres d’altitude. Une douzaine de maisons s’étirent au creux d’un vallon, dominées par une église solitaire témoignage de la colonisation passée. L’église avec son toit en chaume et son enclos réalisé en adobe, ressemble à une maison de poupée tant elle semble de guingois. Dans ce village composé d’une simple rue bordée de quelques maisons, une jeune dame propose quelques pièces d’artisanat: des pulls en laine d’alpaga et des petits bonnets andins colorés… Plus loin, on croise une dame âgée à la peau parcheminée vendant des bouquets de « rica-rica » (Acantholippia) odorants. Outre son utilisation médicinale (contre les douleurs d’estomac, le rhume et la toux, les problèmes de circulation etc.) à prendre en infusion une fois par jour, cette plante aux minuscules feuilles très odorantes est aussi utilisée en gastronomie. Elle peut être rajoutée au fameux « Pisco sour » (Alcool de raisin distillé, jus de citron et sucre). Vous dégusterez alors le très local « Rica-Rica sour » ! Puisque nous parlons gastronomie, c’est à Machuca que l’on déguste des « empadas » au fromage accompagnés des fameuses brochettes de lama. Si tout le monde connait le lama comme animal emblématique des régions montagneuses d’Amérique du Sud, renommé pour sa laine et ses qualités d’animal de bât, on sait moins que la viande de lama est tout aussi réputée. Cuisinée fraîche, cette viande est très tendre et à un goût savoureux, et elle est riche en protéines (bien plus que le bœuf, le porc ou le poulet) tout en étant pauvre en graisse… Si vous préférez vous abstenir de goûter à la cuisine locale, vous pouvez simplement admirer les nombreuses zones irriguées par de petites rivières qui forment des vallées fertiles… Devant nous se déploient d’immenses « bofedals » où viennent paître lamas et alpagas.
Ne vous endormez surtout pas sur le chemin du retour (en digérant vos brochettes !) afin d’observer les longues silhouettes hérissées sur les pentes rocheuses… Ha, ha, je vois que j’ai piqué votre curiosité ! Si l’on peut voir trois types de cactus différents dans la Quebrada de Guatin, le Cactus Cardón (dont les grandes épines servent toujours d’aiguilles à tricoter) est de loin le plus impressionnant. Plusieurs de ces cactus sont centenaires et peuvent mesurer jusqu’à 7 mètres. A tout moment, on s’attend presque à voir apparaître des Indiens derrière ces candélabres aussi grands que des arbres comme dans un bon vieux western ! Ces cactus Cardón constituaient une ressource précieuse pour les Atacameños: le bois des cactus servait à la fabrication des portes des maisons et des églises tandis que les fleurs aux propriétés hallucinogènes étaient utilisées lors des rituels… Surtout n’abusez pas des fleurs de cactus Cardón et gardez tous vos sens en alerte pour admirer les troupeaux de vigognes qui se baladent sur l’Altiplano. Ce mammifère sauvage, mince et élancé, était appelé la « laine des dieux » par les Incas. Plus douce, plus rare et plus chère que l’alpaga ou le cachemire, la vigogne reste douze siècles plus tard le nec-plus-ultra de la laine, la plus luxueuse d’entre toutes ! Les puristes souligneront d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’une laine mais d’une fibre. La fibre de vigogne est plus fine: environ 12 microns de diamètre versus 15 microns pour le cachemire (pour comparaison un cheveu mesure 70 microns !). Elle possède aussi l’étonnante caractéristique d’avoir une section creuse qui lui permet de retenir la chaleur. A l’époque des Incas, d’immenses battues étaient organisées, visant à rabattre le gibier d’une région entière vers des enclos spécifiques. Parmi tous les animaux capturés, seules les vigognes étaient tondues puis relâchées, alors que les autres races étaient abattues et leur viande consommée. La laine était réservée à la fabrication des tapisseries ornementales et des vêtements de la famille impériale. Aujourd’hui, les éleveurs procèdent de façon similaire en réunissant les troupeaux de vigognes au cours de « chaccu » comparables à celles organisées aux 15ème et 16ème siècles. Les animaux sont tondus puis remis en liberté. Il faut savoir qu’un animal adulte ne fournit que 550 grammes de laine brute, soit seulement 120 à 150 grammes de laine exploitable. Et celui-ci n’est tondu qu’une fois tous les trois ans en raison de la lente repousse de son pelage… Tous à vos calculatrices… Il faut donc six à huit vigognes adultes pour fournir la laine nécessaire à la fabrication d’un pull, et une bonne trentaine pour un manteau, une précision qui explique les tarifs élevés des vêtements en question !
C’est au milieu du paysage lunaire du désert d’Atacama, que l’on trouve parfois des coins isolés possédant de l’eau saline et de la végétation sauvage, comme au sein du Salar de Aguas Calientes. Les salines Aguas Calientes et Tara sont situées dans la Réserve Nationale Los Flamencos à environ 130 kilomètres de San Pedro de Atacama. Cette route internationale (goudronnée) vaut à elle seule la balade: elle s’élève, longe la Bolivie et le volcan Licancabur (5916 mètres) et arrive sur les hauts plateaux à plus de 4000 mètres d’altitude; le point culminant de la route au kilomètre 48 est à 4600 mètres. Trente kilomètres plus loin, un belvédère fait face aux Vegas de Quepiaco, de petites lagunes avec des oiseaux mais aussi des colonnes de pierre faisant penser à des gardiens: on les appelle « Monjes » (les moines) ou « Guardianes » (les gardiens) de la Pacana ou Maoï de Tara. Ces figures de pierre volcanique géantes ont été sculptées selon les caprices du temps et du vent… Ici, nous sommes à la limite orientale du désert d’Atacama. Les précipitations de cette région alimentent régulièrement les lagunes, qui, au gré des saisons, s’assèchent ou s’emplissent presque complètement d’eau. Lorsque l’eau de la lagune n’est pas trop saumâtre, elle est appréciée des vigognes et des renards qui viennent s’y abreuver, laissant des traces éphémères dans le sel…
Quel beau reportage.
Les couleurs, les thèmes tout est parfait et incite au voyage.
Merci Céline,
Myriam
Merci à toi 🙂 Le désert d’Atacama est le rêve de tout photographe amoureux d’espaces sauvages et de paysages hors du commun…