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Comme dans le roman de Jules Verne, « L’île mystérieuse » Rapa Nui, perdue au milieu de l’océan Pacifique recèle bien des trésors archéologiques et culturels. Cela aurait pu faire partie intégrante des « Voyages extraordinaires »… Les Moaï de l’île de Pâques, ces sculptures d’un autre monde et d’un autre temps, au regard sérieux tournant le dos à l’immensité de l’océan, ne laissent personne indifférent. Avec leurs mâchoires carrées, leurs longs nez épatés et leurs regards aveugles, ces énormes sculptures pèsent plusieurs tonnes. Elles présentent aussi d’importantes différences de formes et de dimensions mesurant entre deux et dix mètres. Les plus anciens sont plus petits, avec des têtes et des yeux ronds. Le Moaï surnommé « Tukututi » est très intéressant d’un point de vue archéologique car c’est le seul de l’île qu’on ait trouvé avec des jambes. Il est en l’occurrence agenouillé et fait dans les 3 mètres de haut. C’est un Moaï de première génération, son style se rapprochant des « Tiki » marquisiens. Les Moaï les plus récents ont des figures allongées avec des doigts soigneusement sculptés, des narines, de longues oreilles, ainsi que d’autres traits physionomiques. C’est à L’ahu Te Pito Kura, situé en face de la baie Hanga Hoonu (aussi connue comme la baie de Pérouse) que l’on trouve le Moaï le plus grand qui ait été érigé. Il faisait une douzaine de mètres de haut (« Pukao » compris) pour un poids de 80 tonnes. A proximité de « l’Ahu » se trouve une pierre aux formes arrondies, probablement un lieu de cérémonies. La légende affirme que c’est le dieu « Make-Make » (à ne pas confondre avec Makémaké la planète naine du système solaire) créateur de l’univers qui posa cette pierre nommée « Te Pito o te Henua ». Cette expression peut se traduire par « nombril du monde »… En déambulant au mileu de ces colosses de pierre, on ne peut s’empêcher de repenser aux mots de l’écrivain Pierre Loti qui débarquant le 3 janvier 1872 sur cette île avec une frégate de la marine française, écrivait: « C’est un pays à moitié fantastique, une terre de rêve. Les statues, il y en a de deux sortes. D’abord celles qui sont renversées et brisées et puis les autres, effrayantes, d’une époque et d’un visage différents, qui se tiennent encore debout, là-bas, sur l’autre versant de l’île, au fond d’une solitude où plus personne ne va ».

Sur l’île de Pâques, l’Ahu Tahai présente un moai solitaire nommé Kote Riku. Il est le seul restauré avec ses yeux et son Pukao, coiffure en lave rouge

L’Ahu Kote Riku

C’est vrai que de ces colosses de pierre, il émerge une certaine magie. Certaines ressemblent à des sentinelles au garde à vous, d’autres ressemblent à une mêlée de rugbymen affrontant l’adversaire et d’autres encore hochent la tête, l’air sceptiques. Enfin, quelques-unes ont chuté et gisent à même le sol humide, tel un boxeur K.O… A l’Ahu Tahai, se trouve un ensemble constitué de trois Ahus: Vai Uri, Tahai et Kote Riku. Ce dernier, moaï solitaire est le seul restauré avec ses yeux et son « Pukao », coiffure en lave rouge. Une question a longtemps taraudé les scientifiques: comment ces statues pesant près de 50 tonnes ont-elles pu être transportées ? A l’Est de l’île se dresse le Rano Raraku. C’est sur les flancs de ce volcan, au cratère marécageux, qu’étaient extraits les blocs de pierre pour sculpter les Moaï. Mais par quel moyen étaient-ils amenés depuis cette carrière jusqu’à destination à des dizaines de kilomètres de distance ? La réponse se trouve peut-être dans la tradition orale des Rapa Nui; en effet, les autochtones racontent que les Moaï marchaient grâce au « Mana », mot désignant la force des esprits… Ok, même si j’aime bien le folklore du « Manamana », on est quand même pas dans un sketch du Muppet Show ! Alors s’ils ne marchaient pas, comment ces Moaï étaient-ils déplacés ? Il semble aujourd’hui clairement établi que c’est à l’horizontal que ces statues étaient transportées, tirées sur un traineau en troncs de palmiers glissant sur des rondins. Jusqu’à une date récente, les scientifiques pensaient que les Moaï étaient entièrement sculptés avant d’être transportés, ce qui relevait de l’exploit car ils sont en tuf (une roche à base de cendres volcaniques) c’est-à-dire que le moindre choc aurait pu les briser ! En fait, les Rapa Nui transportaient des ébauches, probablement dégrossies pour avoir moins de poids à porter mais suffisamment homogènes encore et sans détail pour être transportés facilement. On doit retirer de sa tête l’idée de statues entièrement fignolées que l’on transportait à travers l’île comme des trophées… Et voilà l’un des plus grands mystères de l’archéologie résolu !

A l’Est de l’île de Pâques se dresse le Rano Raraku. C’est sur les flancs de ce volcan qu’étaient extraits les blocs de pierre pour sculpter les Moaï

Cratère du Rano Raraku

Mais un mystère peut en cacher un autre ! Si certaines statues sont debout aujourd’hui, c’est parce qu’elles ont été redressées par des archéologues, récemment. Quand Pierre Loti a visité l’île au 19ème siècle, à proximité des villages, tous les Moaï gisaient au sol… Pourquoi les Moaï ont-ils été jetés à terre ? Si l’on se réfère à l’histoire officielle chilienne, cela fait partie de la théorie de l’effondrement appelée aussi théorie du suicide écologique. Tout aurait commencé au 17ème siècle, période où l’île aurait connu une explosion démographique. Tous les arbres auraient été coupés pour gagner des terres. Ce déboisement drastique aurait entraîné l’érosion des sols. L’agriculture se serait alors écroulée, provoquant une terrible famine. Des statuettes aux côtes décharnées nommées « Moaï Kavakava » retrouvées sur l’île en seraient la preuve… Quasiment morts de faim, les Rapa Nui se seraient alors livrés à une guerre sans merci en utilisant des supposés armes de guerre que les archéologues retrouvent partout sur l’île. Durant ces batailles, certaines tribus auraient renversé les Moaï appartenant aux villages ennemis. Et sur les flancs du volcan, les ouvriers affolés auraient abandonné la carrière en toute hâte laissant derrière eux les Moaï… Mais tentons de démêler le vrai du faux dans ce mythe de l’effondrement… En examinant attentivement ces Moaï couchés, on s’aperçoit qu’ils sont intacts, en un seul morceau. Or, un nez en tuf qui tombe de 3 mètres, ça suffit à avoir un nez éclaté ! Impossible d’imaginer ne serait-ce qu’une seule une seconde que ces statues ont été jetées à terre avec violence. Au contraire, elles ont été déposées au sol avec délicatesse et respect. Mais si ce n’est pas la guerre, qu’est-ce qui a poussé les Rapa Nui à coucher leurs Moaï ?

Sur l’île de Pâques, les Moaï étrangement positionnés sur les flancs du volcan Rano Raraku ont été déposés intentionnellement dans des fosses

Moaï étrangement positionnés sur les flancs du Rano Raraku

Une partie de la réponse se trouve sur les flancs du Rano Raraku, cet « atelier de sculpture » où subsistent des centaines de Moaï. C’est un lieu envoûtant où règne une étrange sensation d’abandon… Dans la théorie de l’effondrement, les ouvriers auraient jeté à terre leurs outils pour abandonner la carrière en toute hâte … et ils ne revinrent jamais laissant derrière eux les statues inachevées… Lorsque Thor Heyerdahl vint ici en 1957, des milliers de « tokus » (haches de pierre utilisées par les sculpteurs) jonchaient encore le sol ! Mais cette histoire est-elle véridique ? Grace à des fouilles menées au début du 20ème siècle, les archéologues savent que les Moaï étrangement positionnés sur les flancs du volcan ont été déposés intentionnellement dans des fosses creusées au préalable. On sait aujourd’hui que ces Moaï ont non seulement une tête mais aussi un corps enfoui à plusieurs mètres de profondeur, le pied des statues étant lui-même enchâssé dans un socle. L’intention était clairement de les dresser et de les laisser sur place et non de les transporter sur les pentes du volcan. Cette découverte a bien sûr fortement intrigué les scientifiques… L’hypothèse la plus probable est que la carrière a été méticuleusement fermée aux alentours du 18ème siècle. Il semblerait que les Rapa Nui aient mis un tabou sur l’exploitation de la carrière. Si l’on regarde attentivement la roche, partout, de gigantesques Moaï intransportables (comme le Moaï Te Tokanka, de 21,65 mètres qui une fois détaché aurait pesé 200 tonnes) bloquent l’accès comme si l’on avait voulu coûte que coûte que cette carrière ne puisse plus être exploitée. Par ailleurs, les Moaï fichés sur la pente que l’on prenait à tort pour des statues abandonnées forment, en fait, une barrière comme des sentinelles symboliques rendant impossible toute évacuation de nouvelles statues. Mais une réponse amène tant d’autres questions…Pourquoi les Rapa Nui ont-ils posé un tabou sur leur carrière et déposé au sol leurs Moaï ?

Sur l’île de Pâques, le magnifique volcan Rano Kau de 1500 m d’envergure et situé à 275 m au-dessus du niveau de la mer, abrite un lac profond

Le cratère du volcan Rano Kau

Des pétroglyphes datant du 18ème siècle c’est-à-dire précisément à l’époque de la fin des Moaï, représentant le dieu créateur des hommes selon les croyances polynésiennes (« Make Make ») et l’homme-oiseau considéré comme son représentant sur terre, ont été découverts dans des grottes. La grotte Ana Kai Tangata, dont l’entrée est située au niveau de la mer contient des vestiges du culte de l’homme-oiseau: mêlant le blanc, le rouge et le noir, des peintures figurent un homme ailé; mais la nature friable de la roche a déjà bien entamé le dessin… Est-ce une mystérieuse, heureuse coïncidence ? Hum, hum, certaines coïncidences ont un sens… Elles participent au phénomène mystérieux que le psychiatre suisse Carl Gustav Jung appelle « synchronicités », un terme qui, bien qu’utilisé dans le langage courant, ne figure dans aucun dictionnaire ! C’est donc vers le 18ème siècle que le culte des ancêtres Moaï a été remplacé par le culte de « Make Make ». Cette révolution spirituelle a complètement bouleversé le système politique des Rapa Nui. Le pouvoir qui était jusqu’alors morcelé entre les différents chefs de tribus devient centralisé, concentré entre les mains d’un seul homme, considéré comme le représentant de « Make Make » sur terre, l’homme-oiseau. Grace aux textes d’un missionnaire du 19ème siècle, les scientifiques savent que l’homme-oiseau était désigné lors qu’une compétition annuelle, une sorte d’Ironman (mais sans le costume de Tony Stark) à l’ancienne !

A la pointe Sud-Ouest de l'île de Pâques, le Motu Nui est situé à 2 kms au large, dans des eaux particulièrement dangereuses infestées de requins

Le Motu Nui à 2 kilomètres au large

La compétition avait lieu dans le village d’Orongo qui se situe au sud-ouest de l’île sur le versant ouest du magnifique volcan Rano Kau (de 1500 mètres d’envergure et situé à 275 mètres au-dessus du niveau de la mer) qui abrite un lac profond. Depuis le site d’Orongo on a une vue imprenable sur les îlots Motu Kau Kau (le pic), Motu Iti (îlot le plus petit) et Motu Nui (îlot le plus large). Le village regroupe une cinquantaine de maisons à l’architecture très particulière. Elles ont été construites à l’aide de fines dalles de pierres superposées. Les Rapa Nui les avaient dotées d’entrées extrêmement basses et étroites où ils pénétraient en rampant. Les familles se réunissaient au village pour encourager l’athlète qui avait été choisi pour représenter leur clan. Cette cérémonie du « Tangata Manupour » destinée à recueillir le premier œuf pondu de « manutara » (la sterne fuligineuse plus communément appelée hirondelle de mer) est un combat pour le prestige et un combat contre le vertige… Imaginez les « Hopu », ces athlètes doublés de guerriers, s’élançant dans cette course folle digne d’un triathlon de l’extrême, dévalant une falaise de 250 mètres pour ensuite affronter les courants contraires afin d’atteindre le Motu Nui à 2 kilomètres au large, dans des eaux particulièrement dangereuses car infestées de requins… « ta ta ta ta tatatata tatatata »… attirés par le sang des blessures de la descente. L’heureux gagnant auréolé d’une gloire nouvelle, remportait aussi le pouvoir pour le chef de son clan qui devenait l’homme-oiseau, pour une année. L’homme-oiseau, interlocuteur privilégié entre les dieux et les hommes, avait un pouvoir quasiment absolu sur toute l’île: il était très craint, respecté, admiré par les autres tribus de l’île… Mais le fait qu’il y ait une course chaque année limite ce pouvoir de l’homme-oiseau dans le temps. Parce ce que sans cette limite on pourrait très facilement devenir un tyran, non ?

Au Festival Tapati, le triathlon Tau’a Rapa Nui comprend trois épreuves dont une course à pieds en portant un régime de bananes sous chaque bras

Le triathlon « Tau’a Rapa Nui », course à pieds

La civilisation Rapa Nui a bien failli disparaître, victime de comportements humains barbares (massacres, esclavagisme etc.) et des maladies transmises par les européens (notamment la petite vérole et la lèpre): il ne restait plus que 110 Rapa Nui alors qu’ils étaient entre 3500 à 4000 avant l’arrivée des esclavagistes en 1862… Mais aujourd’hui, la moitié des 5000 habitants de l’île de Pâques sont les descendants de ces 110 survivants ! Conscients de la fragilité de leur héritage culturel, les Rapa Nui l’entretiennent avec ferveur. La langue pascuane, interdite jusque dans les années 1970 est maintenant enseignée à l’école: quasiment tous les cours sont en Rapa Nui jusqu’à l’âge de huit ans ! Aujourd’hui, 77% des enfants parlent Rapa Nui, contre 10% il y a seulement une quinzaine d’années. Evènement culturel de l’année depuis février 1975, le festival Tapati Rapa Nui couronne la plus belle femme de l’île et perpétue les traditions ancestrales. C’est avant tout un moyen de transmettre la culture Rapa Nui en s’amusant. Pendant la durée du festival, les clans s’affrontent autour d’épreuves très variées et parfois spectaculaires. La candidate du clan gagnant est élue reine de l’île et représentera les traditions culturelles pour l’année… Tiens, mais ils ont aussi une Madame de Fontenay avec un magnifique chapeau ? Pendant deux semaines, des compétitions sportives et culturelles traditionnelles sont notées par un jury. Au programme, des concours de danses et costumes folkloriques, des chants traditionnels contant les légendes ancestrales (« Riu »), des sculptures et gravures sur le thème des Moaï. C’est assez étonnant de voir le nombre de gens qui sculptent, peignent, dessinent, chantent et dansent avec une aisance déroutante ! L’épreuve nommée « Titingi Mahute » consiste à travailler la mahute (plante introduite par les premiers habitants de l’île) avec laquelle les costumes sont confectionnés. Le processus de transformation consiste à aplatir le mahute à petits coups de bâtons en bois et de l’étirer sur une pierre arrondie (le « Maea pore »). Les femmes plébiscitent aussi le «kaï-kaï», un art ancestral de conter des légendes (« patautau »), en mimant les faits énoncés avec une corde tendue entre les doigts. Du côté des épreuves physiques, le triathlon « Tau’a Rapa Nui » comprend trois épreuves qui se déroulent dans le cratère du volcan Rano Raraku: une traversée de la lagune sur une barque de roseaux séchés (épreuve « Vaka Ama ») ; une course à pieds autour du lac en portant un régime de bananes sous chaque bras (soit au total 45 kilos) puis sur le haut des flancs du cratère; une seconde traversée du lac à la nage avec un flotteur (Pora) en roseaux. Quant à la compétition la plus dangereuse, l’« Haka Pei », elle consiste à dévaler la pente du volcan Maunga pu’i (la plus raide de l’île à 45°) le plus vite possible, allongé sur des troncs de bananiers liés entre eux… La vitesse des concurrents peut atteindre les 80 km/h ! Il va s’en dire que la difficulté repose également dans le fait que les fervents chevaliers de ces dames sont pratiquement nus et que tenir sur un tronc de bananiers ça peut vous jouer des tours… Aie, aie, aie !

« Iorana Tangata Rongo Rongo »

 

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