Quelques 500 forts parsèment les régions montagneuses du Sultanat d’Oman. Difficile donc de tous les visiter ! Influencés par l’architecture perse (à l’intérieur des terres) ou portugaise (sur le littoral), ils dominent le paysage et défendent les côtes. La topographie du pays a permis de développer un système de défense efficace grâce à ces sentinelles de pierre. Les forts ou châteaux de Nizwa,Jabrin, Al Hazm, Bahla, Rustaq et Nakhl (le plus grand du sultanat) sont les plus connus. On retrouve de nombreux points communs dans ces forteresses de pierre: les puits, vitaux en cas de siège, de beaux appartements privés pour le Wali (le chef), des meurtrières situées au-dessus des portes pour pouvoir verser des matières brûlantes sur les assaillants… Bien que les termes « fort » et « château » soient souvent utilisés de manière interchangeable, ils ont des significations différentes: un fort (qa’lah) est un poste militaire de garnison tandis qu’un château (hisn) est un bâtiment fortifié ou un groupe de bâtiments affectés à un usage administratif ou résidentiel. Cela étant dit, je vous embarque pour un voyage passionnant dans le patrimoine culturel et historique du Sultanat d’Oman en visitant quelques-uns de ses célèbres châteaux forts.
Remonter le temps en explorant le château de Jabrin
A 150 kilomètres de Mascate, situé dans une oasis de la région d’Ad-Dakhiiyah, le château de Jabrin (ou Jabreen) est une imposante construction rectangulaire aux murs d’ocre. Cet édifice couleur sable se détache dans l’horizon au milieu des palmiers. Très bel exemple d’architecture islamique, ce château est constitué en deux parties. La première partie s’élève sur deux étages sur une hauteur totale de 16 mètres. La seconde partie comporte trois étages sur une hauteur de 22 mètres. Construit au 17ème siècle par l’Iman Bil’arab bin Sultan Al Ya’rubi qui a trouvé le repos éternel dans une tombe à l’intérieur du château, ce palais résidentiel fortifié a été ensuite modifié par Muhammad bin Nasr Al-Ghafiri au 18ème siècle. Les derniers travaux en date remontent aux années 80 (de 1979 à 1983) où le château a été entièrement restauré par le ministère de la culture et du patrimoine omanais. A sa grande époque, plus de 300 personnes vaquaient à leurs occupations entre ces murs, comprenant les membres de la famille de l’imam et le petit personnel… Ils menaient une vraie vie de château, au sens propre du terme !
« Grande fête au château il y a bien longtemps / Les belles et les beaux, nobliaux, noble sang / De tout le royaume on est venu dansant / Tournent les vies, oh tournent les vies, oh tournent et s’en vont / Tournent les vies, oh, tournent les violons ».
(Tournent les violons -Jean Jacques Goldman)
En poussant la porte d’entrée principale du château de Jabrin, vaillamment gardée par deux canons, nous embarquons pour un voyage dans le temps. On pénètre dans la cour intérieure du château, prolongée par un hall. En levant les yeux, on découvre des fentes de chaque côté du plafond permettant de surveiller l’entrée du bâtiment. Et si un intrus essayait de passer le hall sans y avoir été convié on lui souhaitait la « malvenue » en versant par ces meurtrières (l’équivalent des mâchicoulis de nos châteaux forts) des matières brûlantes comme du jus de dattes très chaud ou des projectiles (des pierres par exemple). On avait un sacré sens de l’accueil pour les visiteurs indésirables à l’époque, non ?
Ouf, nous avons passé cette première porte avec succès sans sirop de dattes brûlant qui nous tombe dessus en cascade ! Il faut dire que la région ne manque pas de dattes comme en témoigne ce cellier à dattes, une salle voutée où des tonnes de ce fruit étaient stockées en prévision d’un long siège. Rangées dans des sacs tressés en palmier et posées sur un sol rainuré, les dattes, écrasées sous leur propre poids, exsudaient un jus épais, semblable à du miel. Le jus coulait lentement le long de canaux dans le sol puis était ensuite recueilli dans des bocaux en terre. En temps de paix, le jus de dattes était utilisé dans la cuisine du château ou à des fins thérapeutiques, la datte étant considérée comme un aliment bénéfique pour les femmes enceintes et les jeunes mères. En cas d’attaque, le jus était chauffé jusqu’à ébullition et préparé pour être déversé sur les ennemis à travers les meurtrières situées au-dessus des portes du château.
« Selon vous, quel est l’élément le plus important d’une forteresse, Ses murs ? Ses canons ? Sa position ? Non, ce sont les hommes qui se tiennent derrière les remparts et qui disent à l’ennemi : « Non, vous ne prendrez pas cette place ».
(Deluge d’acier – Graham McNeill)
En sortant du cellier et en poursuivant notre jeu de piste dans les cuisines, au beau milieu des coffres où étaient gardées les provisions, notre regard est attiré par des jarres d’eau suspendues au mur. Mais quelle ingéniosité: ils avaient déjà inventé la gourde isotherme à cette époque ! En effet, l’eau potable était stockée dans un type spécial de jarre suspendue appelée « Jahlah ». La « Jahlah » était laissée non vernie pour permettre à l’humidité de s’infiltrer très lentement à travers la surface extérieure de la jarre. Du coup, lorsque la brise fraîche de la cour soufflait sur la surface du récipient, cette humidité s’évaporait et refroidissait l’eau à l’intérieur pour lui donner une température agréable à boire. Dans le même registre, on peut aussi saluer l’utilisation du « falaj » qui court dans le château mais qui ne joue pas son rôle de traditionnel système d’irrigation. En plus d’apporter de l’eau pour un usage quotidien, il faisait office de climatiseur !
Le château de Jabrin est un véritable labyrinthe de pièces, qui vous mène des cuisines aux salles de réception et à la bibliothèque via l’escalier principal. Alors que vous grimpez naïvement les premières marches de cet escalier, le nez en l’air, admirant les ogives et les inscriptions islamiques gravées dans les murs, serez-vous pressentir le danger qui vous menace ? Apparemment, la force est avec vous jeune Nabāb ! La quatrième marche de cet escalier qui mène directement aux appartements familiaux est truquée. Elle est constituée d’une planche amovible qui une fois retirée garantit une chute quasi-mortelle. Une fois atteint le deuxième étage sain et sauf, on découvre de jolies pièces décorées ainsi que la bibliothèque. Les pièces ont conservé de magnifiques plafonds peints et de belles fenêtres en moucharabieh donnant sur la palmeraie. Parmi les 55 pièces que compte le château de Jabrin, la chambre du soleil et de la lune, dans laquelle l’imam recevait ses hôtes de marque, possède un plafond orné d’élégants motifs et d’inscriptions islamiques où est représenté un œil. Cette pièce possède quatorze fenêtres ingénieusement réparties: sept en haut et sept en bas. Cela permet de maintenir l’air frais dans la pièce tout au long de l’année: l’air chaud étant plus léger que l’air froid, celui-ci entre par les fenêtres du bas et expulse l’air chaud dans la partie supérieure.
Encore des escaliers qui mènent au troisième étage sur les toits avec une vue imprenable sur toute la région. Au-delà des murailles crénelées s’étend une palmeraie avec en toile de fond les montagnes du massif du Hajar. La terrasse de ce troisième étage dispose de plusieurs niveaux où on accède bien entendu par des escaliers. Sur ce toit tout est en coins et recoins: là, un recoin accueille des canons, ici se trouve la salle des prières et encore ici une salle d’étude. Il faut préciser que le château de Jabrin fût une importante école d’astrologie, de médecine et de loi islamique. C’est au fond de cette salle d’étude que l’on découvre un autre escalier permettant d’accéder à l’aile droite du deuxième étage… Allez, le jeu de piste continue !
Cette partie du château s’articule autour d’un patio qui surplombe les cuisines. La salle de conférence possède un double fond dans chaque angle de la pièce. Des espions pouvaient s’y glisser pour écouter tout ouïe les conversations pour ensuite en rapporter les propos… Autre curiosité, la salle de justice par laquelle les prisonniers entrent par la grande porte. Si l’accusé est déclaré coupable, il ressortira de l’autre côté du patio en courbant l’échine par une porte de 40 centimètres de haut… Enfin dernière particularité de ce château: la salle des chevaux. La promiscuité des appartements de l’iman et de l’écurie de ses pur-sang arabes était un gage de sécurité. Une trappe, une rampe et le tour est joué: l’imam pouvait s’enfuir au triple galop en cas d’attaque !
Tour et (dé)tour dans la perle de l’islam: Nizwa en son for intérieur
Ancienne capitale du Sultanat d’Oman et fief des puissants imams du pays, la ville de Nizwa est dominée par son fort du 17ème siècle, si bien restauré qu’il paraît presque neuf. Surnommée la « la perle de l’islam », Nizwa est située dans une plaine cernée de palmeraies luxuriantes et de montagnes, à seulement deux heures de route de la capitale Mascate. La ville a attiré mais aussi produit les plus grands érudits, poètes et guides religieux du pays. Si l’histoire omanaise retient que la tour de Nizwa a été construite par l’Iman Bin Saïd Al Ya’rubi au 17ème siècle (de 1649 à 1661), il est possible que la fortification d’origine de la citadelle (qui comprend à la fois un château et un fort) soit beaucoup plus ancienne. La ville de Nizwa fût l’une des premières villes du Sultanat d’Oman à se convertir à l’islam. Les deux mosquées historiques de Nizwa, la « Shawadhna » et la « Sa’al », datent des tout premiers jours de l’Islam et auraient été construites respectivement en 623 et 629 après J.C. Il est possible que la fortification d’origine soit aussi ancienne, voire plus ancienne que ces deux mosquées… D’autres historiens estiment que la structure précurseuse de la fortification actuelle remonterait au 9ème siècle, à l’époque de Al Salt bin Malik. Néanmoins, cette bataille de dattes, oh pardon de dates, n’endommage en rien la beauté du fort actuel.
Stratégiquement situé le long d’une artère commerciale vitale, le fort de Nizwa surveillait les routes du commerce qui passaient par Sama’il à l’ouest, Wadi Tanuf à l’est et les territoires désertiques au sud. Les routes du nord étaient quant à elles naturellement protégées par les imposantes montagnes du Hajar. Unique par sa dimension, l’immense tour (« Burj ») ronde de 36 mètres de diamètre et de 30 mètres de haut est surmontée d’une plate-forme avec des ouvertures à partir desquelles 23 canons pouvaient tirer dans un rayon de 360 degrés. Sur la plate-forme elle-même, le mur d’enceinte s’élève encore d’une dizaine de mètres pour ménager un chemin de ronde à l’abri des créneaux de la tour. Alimenté par les eaux prolifiques du « falaj » Daris, le fort dispose également de plusieurs puits pour fournir ses habitants en eau potable en cas de contamination de l’eau courante. Un ingénieux système de poulie tenu par des éléments en bois est mis en mouvement par un bœuf ou un âne. Cela permet de puiser l’eau qui est ensuite reversée dans le réseau d’irrigation.
A la pointe du progrès pour l’époque, le fort de Nizwa était truffé de pièges ingénieux visant à repousser les téméraires assaillants. Les murailles de ce gigantesque château de sable sont truffées de meurtrières. Le trou central était destiné aux tirs à longue distance tandis que les meurtrières latérales étaient utilisées pour les tirs à moyenne distance. Enfin, les fentes disséminées autour de la tour permettaient au tireur d’atteindre les ennemis qui s’approchaient trop près du fort. Si les assaillants arrivaient à passer entre les tirs, d’autres surprises les attendaient notamment une « réception » à l’entrée principale. Comme au château de Jabrin, l’accueil consistait à verser des matières brûlantes comme du jus de dattes très chaud ou des pierres sur les arrivants. Si par chance vous sortiez indemne de cet accueil très chaleureux (peut-être devriez-vous acheter un ticket de loterie ?), vous n’êtes pas encore au bout de vos peines ! Certains escaliers étaient munis de planches de bois amovibles laissant la place à des fosses profondes et béantes, qui ne manqueraient pas de mettre fin à la vie de quiconque aurait le malheur d’y tomber ! On trouvait notamment de tels pièges devant chacune des sept robustes portes de l’escalier en zigzag qui menait à la citadelle. Mais attention malheureux, le piège de ces portes est double ! Si vous arrivez à la franchir, juste derrière se trouve une trappe à double battant qui s’ouvre sous votre propre poids. Et voilà, c’est la chute… de mon histoire. Comme disait le poète québécois Claude Péloquin :
« Vous êtes tombés malades, vous êtes tombés en amour, vous êtes tombés dans l’escalier, donc toute la problématique est dans la chute ! »
Faire son marché à Nizwa: vente en gros et au bétail !
Ils se sont levés tôt. A l’aube ou même avant s’ils viennent de loin. Aujourd’hui, vous vous lèverez tôt comme les omanais parce que le vendredi entre 7 heures et 9 heures du matin, l’animation bat son plein au marché aux bestiaux de Nizwa. Les hommes en « dishdasha » (longue tunique) portant le traditionnel « kumma » (chapeau rond) ou le « mussar » (turban local chamarré et noué) déambulent de cages en étals. Ils sont souvent accompagnés de leurs jeunes fils qui n’hésitent pas à dégainer quelques rials pour s’acheter une petite bête: dindes, poules et poussins, perruches se taillent la part belle dans cette partie du marché. On y trouve aussi des lapins et même plus surprenant, des chats blancs à longs poils… Très animé et haut en couleur, le bruit des jacassements est presque incessant…
« Dans les poulaillers d’acajou / Les belles basses-cours à bijoux / On entend la conversation / De la volaille qui fait l’opinion »
(Poulailler’s song – Alain Souchon)
Pourtant c’est un peu plus loin que l’effervescence devient palpable. C’est autour d’un kiosque que se marchande les caprins et les bovins dans une cacophonie de bêlements ou meuglements et d’enchères hurlées à tue-tête. Au centre de la place, sous le kiosque, sont assis les acheteurs potentiels qui regardent défiler les vendeurs qui tournent, promenant leur bétail à la longe en attendant d’être accostés. Les plus costauds arrivent même à porter une chèvre sur leurs épaules, tout en en tirant une ou deux autres à bout de bras. L’acheteur intéressé demande le prix de la bête au passage du vendeur mais attend parfois plusieurs tours avant d’entamer une négociation. Le marchandage s’accompagne d’une vérification de la bonne santé et de la vitalité de l’animal: la main tâte l’estomac de la chèvre pour savoir si elle a été bien nourrie ? On vérifie aussi l’état de ses dents et de ses pattes.
Dans ce bourdonnement incessant de marchandage et au milieu de la poussière soulevée par les sabots des bêtes, on s’immerge dans ce spectacle de vie qui nous semble d’une autre époque. C’est une véritable plongée culturelle dans un pan de vie omanaise mais aussi l’occasion de capturer des visages ou des attitudes que l’on ramènera précieusement chez soi comme une image instantanée d’un autre temps…
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j’aime bien les chevres 🙂