Isolée au milieu de l’océan à près de 3700 kilomètres des côtes chiliennes et à 4000 kilomètres de Tahiti, l’île de Pâques est née, comme la plupart des archipels polynésiens, d’éruptions volcaniques localisées à la verticale de « points chauds » de la croûte terrestre. D’une superficie de 162 km2, ce minuscule triangle de terre perdu au milieu de l’océan Pacifique Sud, appelé aussi « Rapa Nui » en pascuan, est considéré comme la frontière extrême-orientale de la Polynésie. L’île s’est construite autour de 3 cônes principaux éteints: le Maunga Terevaka, le Rano Kau et le mont Poike. C’est dans cette roche volcanique qu’ont été sculptées des colosses de pierre, les célèbres « Moaï », gigantesques statues de l’on trouve par centaines sur l’île. Au même titre que les pyramides de Gizeh, la cité d’Angkor ou encore le Machu Picchu, l’île de Pâques a rejoint la longue liste des mystères de l’humanité ! De nombreuses énigmes subsistent quant aux origines et au mode de vie de la civilisation Rapa Nui. Si beaucoup de secrets ont été élucidés à force d’acharnement et de fascination pour ces lieux, l’île et ses Moaï donnent encore du fil à retordre aux générations d’ethnologues qui se sont penchées sur les raisons de la disparition mystérieuse et soudaine de ce peuple, peu avant la découverte de l’île, un jour de Pâques de 1722 par navigateur hollandais Jacob Roggeveen…
Des îles, il y en a à foison sur notre petite planète bleue… Et pourtant « Rapa Nui » est une île à part qui envoûte littéralement le visiteur… « Iorana (bonjour) Koho-mai (bienvenus), rien ne presse, détends-toi ! N’entends-tu pas de la musique ? ». Ces rythmes lents, ces mélodies ensoleillées nous donnent le tempo, celui de savourer le temps qui passe, de se laisser bercer par le mouvements lancinants des vagues, de profiter des rayons du soleil qui caressent délicatement notre peau, de humer encore et encore les douces senteurs du collier de fleurs, très odorantes, du Frangipanier. Certaines espèces, animales et végétales, sont endémiques, mais beaucoup sont importées. Pourtant toutes participent à la douce variété de l’île comme ces hibiscus aux fleurs colorées, cet arbre corail (Erythrine, du grec erythros qui signifie « rouge ») avec ses fleurs veloutées écarlates, que l’on compare souvent à des crêtes de coq ou encore l’animal dominant de l’île qui galope ou broute ici et là en toute liberté ! Sur l’île, la végétation est principalement constituée d’étendues herbeuses couvrant un vaste réseau de cavités souterraines. On trouve quelques zones cultivées autour de l’unique village de Hanga-Roa et disséminés çà et là, des bois d’eucalyptus. Le littoral est quant à lui plus austère. La côte est essentiellement rocheuse et balayée par les vagues et le vent. Seules quelques baies et plages de sable viennent interrompre cette monotonie comme à Ovahe où l’on trouve une belle crique sur fond de falaises volcaniques. Mais revenons quelques instants à nos fleurs de Frangipanier… Cet arbre est considéré comme étant un symbole de l’immortalité (ses rameaux coupés peuvent se conserver très longtemps avant d’être replantés !) et il aurait selon les croyances des liens particuliers avec les esprits… Sympa comme cadeau de bienvenue, non ? Esprit de l’île es-tu là ? Car nous sommes prêts, avec nos colliers de fleurs à arpenter l’île du Nord au Sud, et d’Est en Ouest afin de découvrir tes mystères !
Une multitude de questions sont longtemps restées sans réponses en commençant par la plus brûlante d’entre-elles: quelles sont les origines des Rapa Nui ? Dans la communauté scientifique, deux hypothèses s’opposèrent pendant très longtemps… La première est que les Rapa Nui viennent de Polynésie. Ils seraient les héritiers de populations parties de l’Asie du Sud-Est il y a plus de 8000 ans. Cette lente mais inexorable vague migratoire aurait atteint la Polynésie puis l’île de Pâques autour de l’an mille. La seconde possibilité affirme exactement l’inverse c’est-à-dire que Les Rapa Nui viendraient de l’Est, d’Amérique du Sud. Ils seraient partis des côtes chiliennes ou péruviennes pour atteindre l’île de Pâques. Croyant dur comme fer à cette seconde hypothèse, l’explorateur norvégien Thor Heyerdahl, tel Ulysse, se lança en 1947 dans une incroyable « Odyssée »: celle de démontrer qu’en l’an mille, la traversée du Pacifique d’Est en Ouest était possible ! C’est sur un esquif, le « Kon Tiki » censé être la réplique des radeaux utilisés à cette époque par les peuples amérindiens qu’il prend la mer avec cinq navigateurs à bord, le 28 avril 1947, contre l’avis de tous. On leur prédit une mort certaine car ces eaux n’ont rien de « Pacifique »… Contre toute attente, l’esquif fini par atteindre un archipel plus au nord que l’île de Pâques au bout de trois mois ! Qu’importe, Thor Heyerdahl a démontré que la traversée du Pacifique d’Est en Ouest était possible. Il étaya sa théorie huit années plus tard avec une preuve archéologique irréfutable selon lui: un mur fut mis à jour sur l’île avec des pierres parfaitement emboîtées (une architecture à joints vifs) ce qui faisait penser à certains sites archéologiques d’Amérique du Sud, notamment à Cuzco. Alors, l’île de Pâques aurait bien été colonisée par un peuple d’Amérique ? Franchement « Kai ‘ite ‘ana au » (je ne sais pas)…
Pas si élémentaire que ça mon cher Watson ! La théorie de Thor prend un bon coup de marteau deux générations plus tard lorsque des scientifiques démontrent que le fameux mur n’a pas été construit pendant l’époque Inca, mais 200 ans plus tard, soit au 17ème siècle. « Tonnerre de Zeus » comme dirait Astérix, Thor avait donc tort et les Rapa Nui viendraient de Polynésie ? Aujourd’hui, plus aucun doute ne subsiste car la génétique a parlé… « Les Experts à Rapa Nui » ont confirmé , après des analyses faites sur des squelettes découverts au Sud de l’île, que toutes ces personnes avaient un marqueur génétique indiquant très clairement une origine polynésienne. Mais d’où précisément car la Polynésie compte plus de 1000 îles ? Malheureusement l’origine précise n’a pas pu être déterminée par la génétique ! Une part de mystère plane donc toujours… Pourtant une piste semble se dégager puisque des scientifiques ont découvert au centre de l’île de Nuku-Hiva (dans l’Archipel des Marquises) une plateforme en pierre encerclée de statues que l’on appelle des « Tiki». Des similarités troublantes ont été mises en avant: ces « Tiki » ont les mains posées sur le ventre et un menton saillant. Si leur taille est minuscule comparée aux Moaï, cela peut s’expliquer par la pierre à disposition (un basalte très dur à travailler pour les « Tiki » versus du tuf volcanique pour les Moaï) … Il y a donc un lien entre les « Moaï » et ces « Tiki » : les sculpteurs faisaient sans doute partie du même groupe ethnique… Et puis il y a ces similarités linguistiques troublantes: les pascuans parlent une langue quasiment identique à celle des marquisiens. Mais pourquoi ces premiers bâtisseurs de Moaï se sont-ils lancés dans une telle aventure, celle de quitter les Marquises pour toujours sur des catamarans pour voguer vers de nouvelles terres ? Ah, la curiosité et la volonté d’explorer, c’est typique du genre humain, non ? C’est ainsi que le premier roi Rapa Nui, Hotu Matua, aurait débarqué au village d’Anakena au nord-est de l’île de Pâques, seul endroit de l’île avec une plage où les bateaux peuvent facilement accoster.
C’est donc à Anakena que l’on trouve les vestiges les plus anciens de l’île… mais c’est aussi sur sa plage que se trouvent l’Ahu Nau Nau et ses 5 Moïa à « Pukao ». Le « Pukao » (coiffe ou encore chignon) est un gigantesque chapeau de scorie volcanique dont les Rapa Nui ornaient la tête de certains Moaï: un chouette couvre-chef très à la mode à l’époque ! La carrière de « Pukao », Puna Pau, se situe non loin d’Hanga Roa. Est-ce à Puna Pau que nous pourrons faire la connaissance du « Chapelier fou » de l’île à l’origine de ces chapeaux incroyables ? D’une hauteur d’un à deux mètres et d’un diamètre de deux à trois mètres, ces cylindres pèsent entre neuf et douze tonnes. En 1872, l’écrivain Pierre Loti (1872) écrivait: « Leurs coiffures qui étaient des espèces de turbans, en une lave différente et d’un rouge de sanguine, ont roulé çà et là, aux instants des chutes, et l’on dirait de monstrueuses pierres meulières ». Cette couleur, typique de l’hématite, intensément rouge, se retrouvait aussi dans les peintures qui recouvraient les Moaï. En effet, au début du 20ème siècle des scientifiques ont découvert un Moaï avec des traces d’un pigment de coloration rouge. Les colosses de pierre auraient donc été peints avec des motifs rouges et blancs, couleurs sacrées de l’île. Fermez les yeux et imaginez un peu ces mastodontes en couleurs dispersés aux quatre coins de l’île de Pâques ! Sur les 887 Moaï dénombrés à ce jour, certains reposent donc sur des plateformes (« Ahu ») appelées Ahu Tahai, Ahu Akivi ou Ahu Tongariki. Devant un tel décor, nous sommes tiraillés entre la magie du lieu et l’envie d’en savoir plus, voire trop…
Les vagues battent les flancs d’une côte déchiquetée et à quelques pas des statues irréelles semblent avoir surgi de l’océan pour se figer sur l’île. Elles sont alignées, dos à la furie des vagues, comme des militaires figés, au garde-à-vous. Le torse décharné et le visage hautain, elles semblent défier les visiteurs fascinés par l’énigme. Jadis, dans tous les villages, à une dizaine de mètres des maisons se dressaient ce que l’on appelle un « Ahu Moaï» à la structure toujours identique: un podium en pierre sur lequel on dépose des pierres socle qui vont permettre d’ériger les Moaï. L’Ahu Tongariki est l’alignement le plus important de l’île, composé de quinze statues imposantes tournant le dos à l’océan Pacifique en symbole de protection. Selon la tradition, le Moai porte la responsabilité de la partie du monde qu’il regarde. Situé à l’extrême sud-est de l’île au pied du Rano Raraku (la carrière de Moaï), les statues de pierre avaient été renversées par un raz-de-marée en 1960. Mais elles furent restaurées par un mécène japonais et sont à nouveau debout. A l’approche du crépuscule, seuls les chevaux observent quelques oiseaux insolents qui narguent ces géants en piaillant sur leurs têtes ou posent sur la pierre de tuf, des traces indélicates… Qu’importe, la magie opère jusqu’au coucher du soleil sur l’Ahu Vai Uri avec ses cinq Moaï alignés tournant le dos à l’immensité de l’océan. Plus tard, alors que les étoiles ont envahi le ciel, que la lune brille et que la mer s’est assombrie, il paraît les esprits des Moaï se rassemblent au cœur de l’île de Pâques et font un grand festin en bavardant du monde chaque nuit…
Les gens qui vivaient en face des Moaï pouvaient établir un lien, une communion avec les ancêtres, ces statues étant une représentation des esprits des ancêtres qui sont partis vers la mer. Les ancêtres regardent les villages et dialoguent avec leurs descendants. D’ailleurs ces statues ont les yeux creux qui font penser qu’il y avait des incrustations. Ces yeux en corail devaient permettre aux Moaï de mieux surveiller et protéger les vivants. Seul le sublime Ahu Akivi, avec ses sept Moaï alignés face à l’océan, rompt avec la tradition. Toujours visibles aujourd’hui, les sept éclaireurs de l’Ahu Akivi, seul Ahu de l’île construit dans les terres et non sur le rivage regardent vers l’océan. Ils représenteraient les sept éclaireurs venus autrefois chercher de nouvelles terres. Le regard rivé sur l’océan symboliquement en direction de leur île polynésienne natale, ils feraient face à leurs racines, ces îles éloignées d’où ils seraient originaires…