Vous avez sûrement entendu parler du célèbre triangle des Bermudes où tout disparait ? Et bien sachez qu’il existe à Cuba le triangle du tabac où tout part en fumée… « Ne me contar la Historia del tabaco » (qui se traduit par quelque chose du genre « Ne me raconte pas de fadaises ! »)… Mais si, je vous assure qu’il existe dans la région de Vuelta Abajo, entre Piñar del Rio, San Juan y Martinez et San Luis, un petit morceau de « terroir » cubain où se trouvent les meilleures terres à tabac de Cuba… et par conséquent du monde ! Une terre argileuse, un climat humide et un savoir-faire ancestral se conjuguent pour produire les cigares les plus réputés du monde, les « puros », les habanos ! C’est donc le meilleur endroit pour visiter une plantation de tabac, rencontrer les « vegueros » qui y travaillent et bien sûr acheter des cigares ! A la Finca del Piñar (plantation d’Alejandro Robaina), on produit surtout des « capos » c’est-à-dire l’enveloppe extérieure du cigare. Quelle vision insolite que ces 10 hectares de surfaces blanches au milieu de la végétation luxuriante ! Ces fines voiles blanches servent à protéger les plants de « Corojo », des insectes mais aussi de l’assèchement du soleil et du vent. Les feuilles qui servent de cape, méritent en effet une attention toute particulière car il faut préserver une texture et un aspect irréprochable. Les 7 autres hectares de la Finca El Piñar sont des cultures en plein champ et servent à la composition de la « tripe », mélange intérieur, lui-même produit de l’assemblage de 3 types de feuilles (« ligero » ou jeunes feuilles du sommet, « seco », et « volado » ou feuilles situées au pied du plant) et de la sous-cape. C’est l’assemblage des 5 types de feuilles (vous suivez toujours ?) selon les secrets de chaque marque qui façonne la saveur et l’arôme du prestigieux « habano ». Mais avant que vous ne puissiez succomber aux volutes d’un bon cigare cubain, savourer son arôme tout en regardant la spirale de fumée ondoyante qui s’en échappe, il vous faudra patienter quelques années… La maturation des feuilles qui fermentent en barriques pour les meilleurs cigares peut aller jusqu’à cinq années ! Comme le dit Miguel de Cervantès dans Don Quichotte « será bien dar tiempo al tiempo » (il serait bon de donner du temps au temps)… Et non (un mythe s’écroule ?), la paternité de cette expression ne revient ni à François Mitterand, ni à Didier Barbelivien (Il faut laisser le temps au temps) !
La cueillette des feuilles de tabac commence après 50 jours de croissance… C’est le premier des 12 travaux d’Hercule (ou des 12 travaux d’Astérix pour les francophones !) puisque chaque feuille est cueillie à la main pour qu’elle ne subisse aucune détérioration… les ouvriers cueillent séparément chaque niveau à intervalle de 6 jours et leurs gestes sont très précis: ils enlèvent les feuilles au ras du tronc en prenant soin de ne prélever que celles de bonne taille, brillantes, au toucher de velours et dont les nervures sont intactes. Après la récolte, c’est dans la « casa de tobacco » que les feuilles de tabac vont subir leur première transformation. Pendant plusieurs semaines, les feuilles sont suspendues par petits paquets sur des perches. Dans cette atmosphère chargée d’humidité, les feuilles se transforment sans jamais devenir cassantes, ni pourrissantes. Ce processus permet de débarrasser les feuilles de leur eau afin de concentrer leur arôme et leur saveur comme un fruit confit. L’hygrométrie est contrôlée et les ouvrières arrosent le sol ou allument un feu pour rétablir l’hygrométrie désirée… La méthode peut sembler archaïque mais ça fonctionne ! Les feuilles de tabac virent progressivement du vert au jaune, la chlorophylle étant progressivement éliminée. A chaque nouvelle cueillette, les perches sont montées au niveau supérieur jusqu’à atteindre le Nirvana, ha, ha… je plaisante bien sûr, jusqu’à atteindre le sommet (c’est-à-dire le toit) au terme de la maturation… « Attention, mesdames et messieurs », ces feuilles maturées, comme tous ces hommes haut placés finiront de la même manière car « si haut qu’on monte on finit toujours par des cendres ! » (Pour paraphraser Henri de Rochefort). Mais avant de partir en fumée, la feuille de tabac subit encore d’autres étapes notamment le séchage (d’environ 50 jours) pendant lequel les feuilles prennent une couleur d’un brun doré.
Après les ultimes étapes de fermentations qui permettent de débarrasser la feuille de tabac de son excès d’azote et de nicotine (cette modification chimique va augmenter les arômes et les saveurs tout en harmonisant la texture du tabac) vient enfin le moment d’assembler le cigare. A Cuba, 90% des feuilles séchées et fermentées ainsi que la chaîne de fabrication du cigare sont intégralement gérés par l’Etat. C’est après la troisième fermentation, qui aura duré une année entière, que les feuilles de tabac fêtent leur grand départ pour la Havane pour subir leur ultime métamorphose en Habanos Divins : « Allez, tournée de rhum pour tout le monde… Non, non un peu de décence les feuilles, on avait dit une fête sans effeuillage ! ». Dans la manufacture d’Etat, les écoteuses retirent d’un geste précis et d’une main experte la nervure centrale de la feuille de tabac (cette étape s’appelle sans surprise… l’écotage). Elles trient ensuite les feuilles écotées en fonction des critères de taille, de texture et de couleur. Pour renforcer les contrastes et éviter d’être maculées de brun, leurs cuisses sont recouvertes d’un tissu clair. Peut-être est-ce cette image des écoteuses qui a nourri le mythe populaire des havanes roulés sur les cuisses de vierges ? Enfin dernière ligne droite pour nos petites feuilles de tabac, au cœur de la « galleria », les cigarières et les cigariers roulent les feuilles qui deviendront des cigares d’un type et d’un format donné. Après le roulage, les cigares sont mis au repos pendant une période de quatre à huit semaines avant d’être commercialisés. Après toutes ces heures perdues à attendre, voilà enfin l’heure de vérité: le plaisir unique de fumer votre « Habano » (enfin pour les fumeurs, ce qui n’est pas mon cas !). Mais point trop de précipitation, fumer le cigare à Cuba c’est presque une religion… On commence par le palper doucement pour percevoir son odeur, puis on le décapite tendrement avant de l’allumer pour ressentir agréablement toutes ses saveurs et ses arômes… Comme l’a dit l’acteur britannique Jeremy Iron : « Fumer une cigarette équivaut à avoir des rapports sexuels ; fumer un havane équivaut à faire l’amour »… Vous voilà prévenus !
Changement total de décor, pour passer des terres cultivées à la nature brute, il n’y a qu’à demander. Quelques kilomètres plus loin, toujours dans la province de Piñar del Rio, votre vœu sera exaucé… Collines vertes, végétation luxuriante, lacs (Lago El Palmar et Lago del San Juan) et piscines naturelles (Baños de San Juan) vous accueillent à Las Terrazas, une biosphère classée réserve mondiale par l’Unesco en 1985. La rivière San Juan, qui coule doucement sur le flanc d’une colline forme une série de petites cascades et d’étangs naturels aux eaux fraîches et limpides. Les Baños de San Juan constituent un des attraits principaux de Las Terrazas. Si en hiver, seuls les plus courageux se baignent dans ses eaux glacées, en été, les eaux fraîches, les arbres élevés, les plantes vert émeraude et les cascades cristallines s’avèrent idylliques pour la baignade !
Véritable havre de paix, Las Terrazas se trouve à seulement une heure de La Havane alors que l’on pourrait penser qu’elle est distante de centaines de kilomètres de la ville ! Mais ce petit jardin à la végétation luxuriante n’a pas toujours été le lieu paisible qu’il est devenu aujourd’hui. Pendant la colonisation espagnole, puis avec l’implantation du café sur la zone par les Français au 19ème siècle, cette zone a souffert d’une déforestation massive. D’ailleurs, on peut encore découvrir aujourd’hui l’ancienne propriété caféière qui domine le Cafetal (d’une altitude vertigineuse de 240 mètres) et les anciennes ruines de caféiers Buenavista. C’est en 1949 que le site a été abandonné en partie à cause de la forte concurrence du café Brésilien. En 1968, un projet spécial sonne la Renaissance (ce n’est pas un film de science-fiction) de Las Terrazas: sept millions d’arbres sont replantés (24 espèces différentes) et les champs commencent à être travaillés en terrasse, une technique agricole qui donnera son nom au lieu : « Las Terrazas ». L’opération est un véritable succès. Aujourd’hui, au beau milieu de la Sierra del Rosario, cette biosphère représente plus de 5 000 hectares et compte des espèces rares tel l’arbre des Caraïbes ou le Mahagua (un bois dur qui sert à faire les battes de baseball). C’est aussi ici que l’on découvre l’Almacigo, un arbre étrange à l’écorce rouge plus communément appelé Arbol del Tourista ou « L’arbre du touriste ». Et là, vous vous interrogez sûrement… Quel rapport peut-il bien y avoir entre un arbre à l’écorce rouge et un touriste ? Ah, ah, vous donnez votre langue à El Gato ? Eh bien, si vous regardez attentivement cet arbre aux deux branches principales largement écartées et à la peau rouge, vous avez l’image typique des jambes du touriste prenant un coup de soleil sur les plages de Cuba ! Si vous êtes un visiteur chanceux et très attentif, vous pourrez apercevoir le Zunzuncito, l’oiseau-mouche le plus petit au monde, ou le plumage rouge, blanc et bleu du Tocororo, l’oiseau national de Cuba. Mais en cette fin d’après-midi, alors que la luminosité décline, point d’oiseau-mouche à l’horizon… Nous ne prenons pas la mouche pour autant puisque nous assistons à l’étrange ballet des vautours autour des ruines de café… une bien étrange atmosphère… « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » (L’Hôtel du Nord, 1938)