Située à 30 kilomètres de Swakopmund, la ville de Walvis Bay (prononcez « vahl-fis bay ») est un lieu plutôt atypique. Les voyageurs émettent souvent quelques réserves sur la visite de cette petite ville portuaire, plutôt industrielle et souvent envahie par le brouillard et l’humidité. C’est plutôt une étape indispensable dans le voyage puisqu’elle coupe la longue route vers Sesriem. Pourtant ce coin de Namibie, coincé entre le désert et l’océan a bien des choses à offrir… Tout d’abord la lagune de Walvis Bay est considérée comme le marécage le plus important d’Afrique australe pour les oiseaux côtiers. On y observe notamment des pélicans blancs ainsi que des flamants nains et des flamants roses. Outre cet attrait ornithologique indéniable, les salines de Walvis Bay offrent un paysage coloré et de superbes variations géométriques. De quoi ravir aussi les photographes globe-trotteurs !
Un peu d’histoire sur Walvis Bay
Walvis Bay, en allemand Walfischbucht, en afrikaans Walvisbaai signifie « la baie des baleines ». Cette baie a été découverte par le navigateur portugais Bartoloméu Diaz en 1487 qui la baptisa « golfe de Sainte Marie de la Conception ». Grâce à sa situation privilégiée à l’abri des hauts-fonds, elle a été adoptée par les baleiniers et petit à petit une ville du même nom naquit au creux de la baie. En 1878, sous domination anglaise, le port devient l’un des plus importants dans l’exportation des minerais. Mandatée par la Société des Nations en 1920 pour administrer la Namibie, l’Afrique du Sud permet à Walvis Bay de devenir un port de commerce international. Des bateaux venus du monde entier accostent dans le plus grand port en eaux profondes du pays. C’est seulement en 1994 après d’âpres négociations, alors que la Namibie a gagné son indépendance depuis 1990, que Walvis Bay est rendu à la nation namibienne. En ville, la visite de quelques musées et édifices religieux permet de mieux comprendre son histoire.
Les salines de Walvis Bay: une mosaïque de couleurs aux différentes nuances de rose
Mosaïque de couleurs aux différentes nuances de rose, les salines de Walvis Bay offrent un paysage unique et envoûtant au milieu des dunes de sable, un paysage façonné par la main de l’Homme depuis 1964. Du rose clair au rose fuchsia, les contrastes sont assez saisissants: c’est un site haut en couleur dédié à l’or blanc. La coloration rose de l’eau est liée à la prolifération de micro-organismes du type algues microscopiques, appelées « Dunaliella salina ». Mais au fait, une saline ça vous parle ? Non ? Alors c’est le moment de mettre mon grain de sel dans cet article… Grain de sel, grain de sable ou grain de folie, tout le monde possède un grain, non ?
« Grain: En avoir un. Ce n’est pas grave. On fait avec. On parle de lui d’un air entendu, d’un très léger mouvement de l’index vers la tête, non dépourvu de sympathie. Au fond, on a chacun le sien. Et il n’est pas interdit d’y ajouter un peu de sel ».
(Franck Castagné – Pièces détachées – revue Voix d’encre n° 34)
La production de sel qui couvre une superficie d’environ 5000 hectares est basée sur l’évaporation solaire de l’eau de mer pour produire 99,4% de chlorure de sodium pur (NaCl) en masse sèche. L’eau de mer (la seule matière première) au large de Walvis Bay contient une concentration de 3,5% de sels avec 2,9% de chlorure de sodium. L’eau de mer est pompée depuis un lagon naturel à un débit de 240 m3 par minute et dirigée vers une série de bassins de pré-évaporation, puis à travers une série de bassins de concentration. Stimulée par la brise du large et le soleil, la salinité de la saumure augmente progressivement jusqu’à atteindre 25 %, puis elle est pompée dans des bassins de cristallisation d’une superficie d’environ 20 hectares chacun. Les minéraux sont concentrés et le sel se cristallise ensuite pour former une couche de cristaux. Grâce aux variétés d’algues présentes dans le mélange minéral qui se crée aux différents stades de dessalage, les bassins salés étincellent chacun d’une couleur différente, violette, rouge, orange, jaune et même verdâtre.
L’exploitation de sel de Walvis Bay est l’une des plus grandes installations d’évaporation d’Afrique, traitant 24 millions de tonnes d’eau de mer pour une production de 700 000 tonnes annuelle de sel de grande qualité. Lorsque l’entreprise a démarré en 1964, elle produisait 50 000 tonnes de sel par an. La plus grande partie du sel extrait de Walvis Bay est exportée vers les marchés d’Afriqueaustrale et occidentale, où il est principalement utilisé par l’industrie chimique pour la production de chlore et de soude caustique. Il est aussi utilisé par le secteur agricole comme complément alimentaire. Walvis Bay Salt Refiners a récemment investi dans l’expansion de sa capacité de production, l’investissement le plus important de l’entreprise en 54 ans d’existence. La nouvelle usine a maintenant une capacité de production de sel lavé de 1,1 million de tonnes par an. Du coup, l’exportation de sel prend une nouvelle orientation vers le marché international: une première cargaison d’environ 50 000 tonnes a vogué vers la côte Est américaine où le sel est utilisé dans diverses applications telles que le traitement de l’eau et les usines chimiques.
Voyage ornithologique à Walvis Bay
Walvis Bay abrite la plus importante colonie de flamands roses de toute l’Afrique Australe: flamants nains et flamants roses se regroupent en grand nombre dans la lagune riche en plancton. De quoi ravir les passionnés d’ornithologie ! Grâce à l’anatomie particulière de leur bec, les flamants filtrent la nourriture (les algues et les diatomées) de l’eau en les débarrassant de ses éléments hautement alcalins et toxiques. Le flamant rose complète son alimentation en algues par de petits mollusques, crustacés et autres particules organiques vivant dans la vase. Pour se nourrir il tourne en décrivant un cercle et en piétinant avec ses pattes (c’est la danse du flamant) sur le sol afin de débusquer un repas potentiel.
Les flamants nains et les flamants roses se distinguent par leur couleur. Les flamants roses arborent un plumage allant du blanc au rose pâle et un bec au bout noir. Les flamants nains sont d’un rose plus soutenu virant au rougeâtre et ont un bec sombre. Le flamant nain vole en groupe, pattes allongées et peut atteindre une vitesse de 60 km/h. Le plus petit des flamants mesurant de 80 à 105 centimètres, pour un poids de 2,2 à 2,7 kg, ne passe pas inaperçu au milieu des milliers de flamants roses avec lesquels il se mélange. Chez les flamants, les juvéniles diffèrent fortement des adultes. Le juvénile est gris brun tandis que l’immature est presque blanc. Que vois-je au loin ? Une silhouette au plumage blanc immaculé mais qui ne ressemble pas du tout à un immature ! Un corps élancé et élégant avec un bec noir ressemblant à une véritable dague: c’est sans nul doute une aigrette garzette qui cherche activement ses proies dans cette eau peu profonde, en parcourant le milieu d’un pas rapide. L’aigrette garzette agite le fond d’une patte pour débusquer les proies enfouies qu’elle capture alors d’un rapide coup de bec… Presque aussi efficace que la dague en acier valyrien d’Arya sur le Night King aka le Roi de la Nuit !
« Tu vois ça, l’Amiral ? Dès l’aube, Gérald a déjà un coup dans l’aile. Il faudrait l’aider le pauvre…
Pas tous en même temps, surtout. Gérald, tu as un poisson-chat dans la gorge ? »
(Le monde de Némo)
Ohé, ohé l’Amiral ! Vous êtes un excellent planeur, très gracieux à voir. Mais que faites-vous si loin de la baie de Sydney avec Gérald ? Ah, désolée, c’est que vous ressemblez beaucoup à votre cousin le Pélican australien. OK, vous êtes un pélican blanc, mea culpa… Oui,oui, j’ai bien noté: un plumage entièrement blanc, excepté les grandes plumes noires des ailes, visibles par dessous en vol. Et aussi votre poche de peau jaunâtre sous le bec. Quoi, votre poche a d’une capacité de treize litres et vous pouvez y stocker jusqu’à 4 kg de poissons. Formidable, merci pour toutes ces nouvelles de l’océan l’Amiral et bon vent !
Outre ces caractéristiques très intéressantes rappelées par le cousin de l’Amiral, le pélican a aussi une technique de pêche très originale. Cet oiseau de mer est un véritable adepte de la pêche collective ! De nombreux pélicans nagent côte à côte et se rapprochent de la rive, en refoulant les poissons qu’ils capturent avec la poche de leur bec. Malin, non ?
Sandwich Harbor: quand le désert rencontre l’océan
Le gros avantage de Walvis Bay, c’est aussi sa proximité avec le désert du Namib. En quelques minutes, vous atteingnez des dunes spectaculaires sur lesquelles vous pouvez faire du « sandboarding » si le cœur vous en dit. Bien que glisser sur le sable soit sans nul doute une sensation agréable, nous optons plutôt pour une excursion vers Sandwich Harbor, site inscrit au patrimoine de l’UNESCO, et qui fait partie du parc national Namib Naukluft. Il faut rouler un bon moment sur la plage chahutée par les vagues vertes et sombres de l’océan Atlantique, puis partir à l’assaut des dunes pour rejoindre cet endroit unique où le désert se jette littéralement dans l’océan. Notre chauffeur fonce à toute allure sur ces pentes raides: le 4×4 monte puis descend… sensations fortes garanties !
Il y a de la vie dans ces dunes ! Sur les pentes de sable, « Acanthosicyos horridus » aussi connu sous le nom de !Nara (prononcer /[ᵑǃara/) abonde. Espèce endémique du désert du Namib, un seul arbuste de !nara peut couvrir une superficie de 1500 m2. La plante est constituée d’épines et de tiges formant un réseau dense et entrelacé. Ce réseau capte et stabilise le sable poussé par le vent, agissant comme un fixateur de dunes. Grâce à sa racine pivotante ligneuse qui pénètre profondément dans le sable et qui lui permet d’atteindre l’eau souterraine, le !nara est capable de survivre des années sans précipitation. Le !nara sait aussi utiliser la précieuse eau du brouillard matinal récupérée lorsqu’elle se condense sur ses tiges.
Le fruit de ce buisson très épineux et toujours vert, a l’allure d’un melon sauvage. Malgré ses longues épines, le fruit est très apprécié des animaux qui, en le consommant, puisent l’eau dont ils ont besoin pour survivre dans ce milieu si hostile ! Tiens, ne serait-ce pas un springbok au milieu de ce Acanthosicyos horridus ? Et dans son proche périmètre voici un chacal à chabraque qui rode ? Les fruits du !nara sont aussi récoltés par les populations locales et notamment les Topnaars, de février à avril et de août à septembre. Chez les Topnaars, chaque famille possède un certain nombre de !naras, qui sont considérés comme propriété privée. Une famille n’a le droit de récolter que les plantes qui lui appartiennent. Les fruits mûrs sont sucrés et juteux et pèsent environ 900 grammes. Ils sont soit consommés crus et appréciés pour leur forte teneur en eau, soit transformés traditionnellement, sous forme de gâteaux faits avec la pulpe du fruit séchée. Riche en protéines, les graines connues sous le nom de « butter-nuts » ou « butterpips » sont consommées fraîches ou grillées en amuse-gueule, ou broyées en farine pour être cuites avec d’autres mets. La graine a un goût agréable mais étrange, entre la cacahuète et le cacao…
Mais continuons notre exploration des dunes. Le vent fouette le corps et le visage. Le sable vole sur la crête des dunes, c’est sublime mais ça croque sous la dent ! On découvre avec surprise un petit lagon bien caché au milieu de ces millions de grains de sable. Deux avocettes élégantes au plumage noir et blanc avec leur grand bec mince retroussé vers le haut, marchent à grands pas gracieux et rapides en émettant une sorte de jappement sonore « kluit ou klîp ». Serait-ce pour prévenir les sarcelles du Cap de notre présence ? Ce petit canard trapu au plumage pâle et au-dessous fortement tacheté est aussi un habitant de la lagune. Nous quittons à regret ce petit coin de paradis mais la terre promise n’est plus très loin… juste derrière la dune… oui mais derrière laquelle exactement ?
« Tous ces voyageurs récompenses-les !
La bonne surprise que tu leur ferais
La terre promise ils l’ont bien méritée
Ils l’ont bien méritée
Ils l’ont bien méritée ! »
(La Terre promise – Richard Anthony)
Nous arrivons enfin à la Terre promise ! Nous marchons pour monter tout en haut d’une dune et découvrir ce paysage surréaliste: les dunes de sable gigantesques côtoient l’océan à perte de vue. Un paradis pour la photographie ! D’un côté comme de l’autre, le paysage s’étend jusqu’à l’infini. Et plus le soleil est bas sur l’horizon plus le désert s’habille de couleurs chatoyantes contrastant avec le bleu-vert de l’océan. Contempler, prendre le temps de s’arrêter pour admirer la beauté ici et maintenant, se laisser envahir par la splendeur des paysages… Un pur moment de bonheur !
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